Opinions - 16.04.2014

Les femmes et le leurre de la compétence

La réponse récurrente à nos questionnements et remarques sur l’absence de la femme aux postes à responsabilités est qu’elles doivent y accéder par la compétence. Si tel était le cas, alors pourquoi n’a t- on pas la parité dans le ministère de l’enseignement supérieur, là où la compétence féminine est abondante et paritaire? Je rappelle que sur les 22878 enseignants statutaires et contractuels tous grades confondus, 11037 sont des femmes (source MES, données 2012-2013). Pourquoi n’a-t-on aucune rectrice à la tête des 13 universités ? Pourquoi n'a-t-on que 9 % de directrices d’établissements universitaires? Pourquoi les femmes ne sont présentes dans les conseils scientifiques qu’à hauteur de 20 %, ….

Dans cette sphère qu’est le milieu universitaire, aussi compétente qu’elle soit, la femme ne passe pas par les élections (par manque aussi de solidarité féminine) et ne passe pas par nomination vu la masculinisation des nominations. Ainsi la compétence n’est qu’un leurre!  Quand bien même elle existe, la femme reste inéquitablement représentée. Notre société est masculine et très masculine et de ca nous les femmes en sommes responsables par l’éducation que nous donnons à nos filles et à nos garçons.

La femme dans les partis

Aujourd’hui, Il n’est pas possible d’afficher des chiffres de présence de la femme dans les partis politiques vu le nombre important des partis (171) et surtout la rareté de la documentation les concernant. A cela il faut ajouter que bien qu’on soit à  8 mois de la date limite constitutionalisée des élections,  la grande majorité des partis reste inconnue au bataillon.  Si l'on se réfère aux statuts des partis publiés sur le web, l’analyse est vite faite et se limite aux partis Ennahdha et Nidaa Tounes.

Dans son statut interne, le parti Ennahdha ne fait pas mention de la représentation de la femme dans les structures régionales, locales et dans le bureau exécutif. Il prévoit la représentation de la femme dans le tiers choisi du mejless el shoura (qui en compte 150) avec la représentation des compétences, des régions, de l’immigration, de la jeunesse, du groupe parlementaire et du groupe gouvernemental. A quel pourcentage ? Le statut ne le dit pas!

Dans le statut de Nidaa Tounes, la femme est encore moins présente voire même absente ; aucune mention de la représentation de la femme.

Vous me direz, le parti El Massar (ex pôle) n’a pas eu besoin d’inscrire la représentation de la femme dans son statut pour la défendre au sein des commissions de  l’ANC qui planchent sur la nouvelle loi électorale. Certes, mais hormis le front populaire et Afek Tounes, les partis ne défendent pas la parité ni dans en leur sein, ni dans la future loi électorale! Leurs silences, je pense notamment aux partis progressistes, est assourdissant, mais ce silence en dit long et nous les femmes on l’entend!

Si je peux trouver des circonstances  atténuantes à Ennahda et aux partis à référence religieuse quant à cette question, je n'en trouve aucune aux partis progressistes partisans du progrès social. Je ne peux trouver des circonstances atténuantes à des partis qui vendent le réformisme, s’y inscrivent et ne le pratiquent pas.

La femme dans le projet de loi électorale

N’ayant pas été dans la haute instance de la réalisation des objectifs de la révolution, je ne peux dire avec précision qui a été le maître d’œuvre  et le défenseur de l’alternance et de la parité des listes inscrite dans le décret-loi n° 2011-35 du 10 mai 2011, relatif à l’élection de l’assemblée nationale constituante. Son application a profité en majorité au parti Ennahdha et a permis d’avoir  65 élues ce qui correspond à un taux de 29.68 % (source anc). Par contre ce que je peux dire, en me référant à l’actuelle loi électorale en préparation, c’est qu’il n’y a pas engouement des partis à rajouter à l’alternance verticale, l’alternance horizontale. Celle-ci est réclamée par la société civile et permettrait d’améliorer la présence de la femme dans la sphère politique sans assurance d’ailleurs d’amener vers une parité dans les résultats.

L’article 23 du projet de loi énonce une représentation des femmes dans les têtes de listes à hauteur de 30 % au minimum. Mais quel est l’argument avancé pour limiter à ce plafond la présence des femmes à la tête de listes? Le manque de femmes politiques et le manque de compétence? A la seconde je réponds que la compétence n’est pas masculine et que dans l’exercice de la politique, à part une poignée de vétérans, la majorité est novice. Pour le reste, comment peut-on croire que les partis ou listes indépendantes ne peuvent pas trouver 5 candidates femmes pour les plus grandes circonscriptions voire moins pour assurer l’alternance verticale? Une fois l’alternance verticale assurée, qu’est ce qui empêche de l’asseoir en horizontale si ce n’est la domination masculine qui pratique l’exclusion féminine arguant le leurre du manque de compétence de la femme!

Vision des Tunisiens sur la participation de la femme dans la vie politique

Les résultats d’un récent sondage de 3C études réalisé dans les 24 circonscriptions pour le compte du PNUD sur «La vision des tunisiens sur la participation de la femme dans la vie politique en Tunisie», montre qu’une majorité des tunisiens (66 %) sont pour la participation de la femme dans la vie politique ; le gouvernorat de Monastir est celui qui y est le plus favorable (77%) et le gouvernorat de Siliana est le moins partisan (49%). Quand il s’agit de la participation dans la vie politique des femmes parentes,  les tunisiens développent une attitude protectionniste et deviennent moins nombreux à soutenir cette idée (52%) invoquant l’instabilité politique et par peur de la violence et des crimes politiques. 59 % des Tunisiens sont pour que la femme prenne plus de responsabilités politiques. Pour ce qui est de la parité dans les listes électorales, les Tunisiens sont pour à 49 %. Habib Bourguiba n’a pas eu cet épaulement pour engager au lendemain de l’indépendance les reformes sur les droits des femmes.  Alors Osez le réformisme ! car je rappelle aux élus qu’ils n’ont pas le droit de faire régresser ce peuple qui les a élu pour bâtir avec lui et pour lui la nouvelle Tunisie, la Tunisie de la dignité et de l’équité, la Tunisie de l’égalité et des minorités, la Tunisie de la prospérité et de la paix ! J’ose également espérer que le temps ou les élues d’ennahdha ont investi les plateaux et séminaires défendant la complémentarité alors qu’on leur parlait d’égalité est révolu. J’ose espérer que l’on ne les verra plus sacrifier les droits des femmes et se conformer aux consignes de leurs partis qui touchent à ces droits. Et à l’occasion de l’élaboration de la loi électorale, nous attendons d’elles et des autres qu’elles travaillent pour l’alternance horizontale et verticale afin d’asseoir le droit indéniable de la femme à être paritairement représentée !

Mme Nihel Ben Amar
Ingénieur Energétique
Docteur en Génie des Procédés Industriels
Maître de Conférences en Génie Chimique
Présidente de l’association TUNISIE VOTE*.
*L’association « TUNISIE VOTE » est une association de droit tunisien à but non lucratif,
indépendante et non partisane. Elle œuvre pour la construction d’une société démocratique
au profit de l’ensemble des citoyens et catégories sociales, par le vote en tant que droit humain
et par la sensibilisation, la vulgarisation et la formation des citoyens et autres acteurs de la vie politique
aux conditions et procédures nécessaires à un bon déroulement des opérations électorales.

 

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