News - 23.03.2014

Sommet arabe du Koweit : les pétromonarchies divisées par l'«islamo-frérisme»

Le 25ème Sommet arabe, lundi et mardi au Koweït, aura pour toile de fond une crise sans précédent au sein du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) depuis la fondation en 1981 de ce groupement à vocation notamment sécuritaire et dont l’histoire est jalonnée de vives tensions en particulier entre l’Arabie saoudite, le géant hégémonique, et le Qatar, le lilliputien qui le nargue quasi-régulièrement.

Hara-kiri

Au-delà de ce reproche, la pomme de discorde essentielle reste l’Egypte,

Au cœur du contentieux entre Saoudiens et Qataris cette fois, l’activisme tous azimuts de Doha en faveur de la confrérie des Frères musulmans qui a remis de l’huile sur le feu couvant depuis que le Qatar, profitant de sa manne gazière et fort de la présence sur son territoire d’Al-Udeid, la plus grande base militaire américaine hors frontières, avait décidé après la révolution de palais en 1995 de s’affranchir de la tutelle saoudienne et de s’imposer comme l’un des acteurs majeurs de la région.

Or, le pire scénario pour le régime saoudien, qui tire une supposée légitimité d’un «islamo-salafisme» à vocation sociale et culturelle à l'intérieur et/ou jihadiste à l'extérieur, c’est la propagation dans le royaume (qui compte environ 25.000 membres de la confrérie) de l’«islamo-frérisme» à vocation politique, jugé déstabilisateur et hostile aux régimes dynastiques obsédés par leurs propres sécurité et stabilité.
 
C’est pourquoi la gardienne des deux saintes Mosquées a pris la tête du « front de refus » hostile aux Frères musulmans, suivie des Emirats arabes unis, aux prises avec ses « Frères » et de Bahreïn, à l’évidence à la remorque de Riyad, ont accusé Doha d’ingérence.

Le sultanat d’Oman, qui a servi d’intermédiaire aux négociations secrètes entre l’Iran, le pire ennemi de Ryad, et les Etats-Unis, veut rester sur une ligne de neutralité et à l’écart des tensions, alors que le Koweït, pays relativement démocratique et dont les « Frères » ont pignon sur rue, veut continuer à jouer le rôle de sapeur-pompier et de conciliateur.

Les pétromonarchies anti-fréristes ont rappelé leurs ambassadeurs du Qatar qu’ils ont sommé de s'aligner et de cesser son prosélytisme frériste en commençant par fermer la chaîne Al-Jazira, des centres de recherches considérés comme des outils de propagande et par faire taire l’éminence grise des Frères musulmans, cheikh Youssef Qardhaoui, le téléprédicateur égyptien naturalisé au Qatar. Autant dire qu’elles lui demandent de se faire hara-kiri.

«Pas négociable»

Le « front de refus » a fait planer la menace de mesures de représailles notamment la fermeture de l’espace aérien saoudien aux avions du Qatar et la fermeture des frontières devant les voyageurs en provenance de l’émirat-paria, sachant que l’Arabie saoudite est son unique débouché terrestre.

Autant dire que c’est un blocus et une déclaration de guerre, lorsqu’on sait que tous les vols aériens du Qatar vers l’Occident transitent par l’espace aérien saoudien, et que près de 70% des besoins alimentaires du Qatar proviennent ou passent par l’Arabie saoudite.

Ryad a d’ailleurs commencé par demander à ses journalistes et écrivains de cesser leurs collaborations avec les médias du Qatar. C’est en partie fait.

Mais le Qatar a déjà fait savoir que sa politique étrangère n'était «pas négociable», arguant que la décision « regrettable » de retirer des ambassadeurs  «n’a rien à voir avec les intérêts des peuples du Golfe, mais concerne des divergences sur des questions régionales hors des pays du CCG ».

Le Qatar a subi des revers très sévères portés par le coup militaire en Egypte le 3 juillet 2013, qui a entraîné la destitution de l’ex-président Mohamed Morsi, puis l’interdiction des Frères musulmans et leur qualification de « mouvement terroriste ». Doha a toutefois affirmé qu'elle ne rappellerait pas ses propres ambassadeurs et assuré désirer «profondément le maintien de liens fraternels».

D’aucuns pourraient d’ailleurs s’interroger sur l’utilité de la présence d’ambassadeurs dans des pays « frères » appartenant au même groupement régional, a pour objectifs une intégration économique et monétaire, une abolition de toutes les barrières et une libre circulation des citoyens et des biens entre les six Etats membres.

Or, depuis la création du CCG – à  l’initiative de l’Arabie saoudite et sous la pression des Etats-Unis pour protéger ces Etats pétroliers et gaziers contre d’éventuelles déstabilisations par les deux acteurs potentiels à l’époque (l’Irak de Saddam Hussein et la République islamique d’Iran) -- ces objectifs sont régulièrement rappelés à chaque sommet. Mais la principale réussite demeure la coordination sécuritaire, qui a été vérifiée au printemps 2011 lorsque des forces de sécurité du CCG ont volé au secours de Bahreïn pour … mater des protestataires qui réclamaient la démocratie.

Barack Obama laisse la main à cheikh Sabah

C’est pourquoi l’émir du Koweït, cheikh Sabah Al-Ahmad Al-Jaber Al Sabah (85 ans) -- qui vient de subir « avec succès une petite opération chirurgicale » aux Etats-Unis – « va entreprendre une médiation de réconciliation » entre les protagonistes durant le sommet qu’il présidera, selon des sources koweïtiennes citées par le quotidien saoudien Al-Hayat.

Un pari difficile lorsqu’on se rappelle l’accord de réconciliation signé en décembre 2013 à Ryad, entre le Qatar d’une part et l’Arabie saoudite et les Emirats d’autre part, en présence de cheikh Sabah, a volé en éclat, suite aux  diatribes répétées du même Qardhaoui et du prosélytisme frériste d’Al-Jazira qui ne se prive pas d’égratigner les autocrates du Golfe, en observant toutefois le silence sur les écarts anti-démocratiques au Qatar.

Un pari que le président américain n’a pas jugé bon à prendre, puisque la Maison Blanche a annulé un sommet devant réunir Barack Obama et des dirigeants du Golfe lors de sa prochaine visite à Ryad, en raison de la situation de plus en plus « complexe » entre les nations du CCG, selon Susan Rice, sa conseillère à la sécurité nationale.

Cette visite est prévue à la fin de son périple en Europe qui devrait être dominée par la crise en Ukraine.

« Le décès du CCG »

Et ce n’est pas le vice-président de la police et de la sécurité générale de Dubaï, le lieutenant-général Dahi Khalfan Tamim, qui prétendra que la situation n’est pas « complexe ».

L’ennemi numéro un des Frères musulmans dans les Emirats vient d’évoquer sur Twitter « des complots fomentés par les Ikhwans (Frères musulmans) du Golfe contre les gouvernements des pays du CCG, y compris celui du Qatar, et planifiés durant une réunion secrète à Istanbul » !

Citant un « Ikkwan » vivant au Liban, ce haut-fonctionnaire, dont les gazouillis (Tweets) sont trop lus et repris sur les réseaux sociaux, a précisé que « le plan visant les Al Saoud, Al Sabah, Al Khalifa, Al Nahyan et les Al Thani (respectivement les familles régnantes en Arabie, Koweït, Bahreïn, Emirats et Qatar) doit être mis en application à partir de 2016 » !!

Mercredi dernier, le Directeur général-adjoint du Conseil musulman de Grande-Bretagne (non-officiel), Dr Daud Abdullah, proche des Frères musulmans, rapportait un Tweet nécrologique attribué à Dahi Khalfan, annonçant …  « le décès du CCG ».

« Nous avons appris, avec une profonde tristesse, le décès du CCG », écrivait  Khalfan, en proposant « la formation d’un nouveau Conseil de coopération groupant l’Arabie saoudite, les Emirats, Bahreïn, l’Egypte et la Jordanie » !
https://www.middleeastmonitor.com/resources/commentary-and-analysis/10406-the-demise-of-the-gcc

Dans le passé, Frères musulmans  d’Egypte avaient menacé de recourir à des mesures de rétorsion pour répondre aux propos désobligeants de Khalfan (à qui ils ont collé le sobriquet ‘Khirfan’ (moutons), à leur encontre.

Habib Trabelsi