Opinions - 12.03.2014

Réflexion sur la Recherche scientifique

Aujourd'hui, nous  devons nous rendre compte que la puissance et la croissance économique vient de la technologie, et le développement scientifique rapide vient  d'une société de la connaissance et du savoir. Souvent cet appel est formel, mais dans certains pays le financement pour la science et l'éducation a connu une forte croissance ces dernières années. Nous allons essayer de chercher à comprendre l'état de la science dans notre pays. Tout d'abord, dans la mesure où les données disponibles le permettent, et essayer d’évaluer l'état actuel. Nous allons regarder  notre attitude envers la science, la technologie et la modernité, afin d’identifier  les pratiques culturelles spécifiques et sociales qui entravent le progrès. Enfin, nous pouvons réfléchir ensemble  à la question fondamentale suivante, que faut-il entreprendre pour mettre la science comme diapason de développement?

En effet, nous allons considérer des mesures pour le progrès scientifique. En effet, si on ne mesure pas, c’est qu’on n’a pas de résultats. Les indicateurs du progrès scientifique ne sont ni précis ni uniques. La science imprègne notre vie de multiples façons, ceci signifie différentes choses pour différentes personnes. Au cours de l'histoire elle a changé notre façon de vivre de façon drastique. En outre, la rareté des données fiables et à jour rend la tâche d'évaluer nos progrès scientifiques encore plus dure.

Dans ce qui suit, nous allons utiliser l'ensemble de quatre références (raisonnables, que les spécialistes de l’assurance de la qualité de l’enseignement, placent dans les champs spécifiques des domaines de la formation et de la recherche):

  • La quantité de la production scientifique, pondérée par une certaine mesure raisonnable de la pertinence et de l'importance.
  • Le rôle joué par la science et la technologie dans l’économie nationale, le financement de la science et technologie (S&T), et la taille des entreprises nationales scientifiques.
  • L'ampleur et la qualité de l'enseignement supérieur pour la recherche.
  • La mesure de la science dans la culture sociétale.

Commençons par  la production scientifique. L'indicateur de la production scientifique (utile, si il est imparfait),  est le nombre de documents publiés de la recherche scientifique accompagnés  de citations leur faisant référence. Une comparaison avec le Brésil, l'Inde, la Chine et les Etats-Unis révèle un nombre significativement plus petits. Une étude menée par des universitaires à l'Université islamique internationale de Malaisie a montré que les pays de l'OCI (57 pays , Organisation de la Conférence Islamique) ont 8,5 scientifiques, ingénieurs, techniciens et pour 1000 habitants, en comparaison à une moyenne mondiale de 40,7 et 139,3 pour les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques. (Pour en savoir plus sur l'OCDE, voir http://www.oecd.org.) Quarante-six pays musulmans ont contribué à 1,17% de la littérature scientifique du monde, tandis que 1,66% venaient de l'Inde seul et 1,48% de l'Espagne. Vingt pays arabes ont contribué à 0,55%, contre 0,89% par Israël seul. Le National Scientific Foundation (NSF) des Etats Unis a montré que sur les 28 plus bas producteurs d'articles scientifiques en 2003, la moitié appartiennent à la OCI.

La situation peut s’avérer encore plus sombre que si au lieu du nombre de publications on se réfère  au nombre de citations qu’elles suggèrent. L’évaluation de la valeur scientifique des publications, jamais une tâche facile, est encore compliquée par l'apparition rapide de nouvelles revues scientifiques internationales qui publient des travaux de mauvaise qualité. Beaucoup ont des politiques éditoriales et des procédures de revue faibles. Les scientifiques dans de nombreux pays en développement, qui sont sous la pression de publier, ou qui sont attirés par les incitations à produire, choisissent de suivre le chemin qui est pavé de moindre résistance pour eux d’une part et par les politiques de plus en plus commercialisées de revues d’autre part. Les auteurs potentiels savent que les éditeurs ont besoin de produire un journal d'une certaine épaisseur chaque mois. Des preuves anecdotiques et  considérables pour ces pratiques, faites à partir de  quelques études systématiques et à titre d’exemple, et pour ne citer qu’un, les publications en chimie par des scientifiques d’un pays de l’ OCI ont  triplé en cinq ans, à partir de 1040 en 1998 à 3277 en 2003. De nombreux articles scientifiques qui ont été revendiqués comme originaux par leurs auteurs chimistes, et qui avaient été publiés dans des revues à l'échelle internationale par les pairs, avait effectivement été publiés deux fois et parfois trois fois avec un contenu identique ou presque identique par les mêmes auteurs. D'autres ont été plagiés des documents qui auraient pu être facilement détectés par un referee raisonnable et prudent.

La situation en matière de brevets est aussi décourageante. Notre pays en produit  un chiffre négligeable. Concernant, les entreprises scientifiques nationales, la sagesse conventionnelle suggère que plus les budgets scientifiques sont  grands, une plus grande activité scientifique s’ensuit. En moyenne, les 57 Etats de l'OCI donnent une estimation de 0,3% de leur produit national brut à la recherche et au développement (R & D), qui est bien inférieur à la moyenne mondiale qui est de 2,4%. Mais la tendance à la hausse des dépenses est sans ambiguïté. Les plus gros budgets ne sont pas les seuls catalyseurs  pour la recherche. La capacité de mettre ces fonds à bon escient est cruciale. Un facteur déterminant est le nombre de scientifiques, d’ingénieurs et de techniciens disponibles. Ces chiffres sont faibles pour les pays de l'OCI, en moyenne autour de 400-500 par million d'habitants, tandis que dans les pays développés ils se situent généralement dans la gamme de 3500-5000 par million. Les conditions les plus importantes sont la qualité et le niveau de professionnalisme, qui sont moins facilement quantifiables. L'augmentation du financement sans s'attaquer de façon adéquate à ces préoccupations cruciales peut conduire à une corrélation nulle entre le financement et la performance scientifique.  Le rôle joué par la science dans la création de la haute technologie est un indicateur important de la science. En comparant la production scientifique et son impact sur l’économie nationale, on  montre qu'il existe peu de corrélation entre les résultats de la recherche universitaire et le rôle de S&T.

Passons au troisième point qui est l'enseignement supérieur, selon une enquête, parmi les 57 Etats membres de l'OCI, il ya environ 1800 universités. De ce nombre, seulement 312 publient des articles dans des journaux indexés. Un classement des 50 qui publient le plus, donne ces chiffres: 26 se trouvent en Turquie, 9 en Iran, 3 en Malaisie et en Egypte, 2 au Pakistan. Pour les 20 premières universités, la production moyenne annuelle d'articles de revue est d'environ 1500, un petit nombre, mais raisonnable. Toutefois, la moyenne des citations par article est très faible (le rapport d'enquête ne précise pas si l'autocitation a été exclue) ( la liste pour Times Higher Education disponible à l'adresse http://www.thes.co.uk ou  classement académique des universités mondiales, compilée par l'Université Jiao Tong de Shanghai (voir http://ed.sjtu.edu.cn/en)). Cet état doit nous mener à préciser un plan d'action, à définir le terme «Qualité» et trouver de nouveaux mécanismes susceptibles d'aider à moderniser les institutions d'enseignement supérieur aux normes mondiales et de contribuer à accélérer les progrès, ce qui induit que les pays du monde Islamique doivent intensifier leurs efforts visant à développer leurs universités, en stimulant les taux de scolarisation, en soutenant leurs centres de recherche et en améliorant la qualité de leur résultats.

La Session Extraordinaire de la Conférence Islamique des Ministres de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique Riyad, Royaume d'Arabie Saoudite, 4 et 5 Octobre 2011), a adopté le document sur les “Indicateurs Clés de Performance: Un Guide pour l'Evaluation et la Qualité, l'Amélioration pour les Universités du Monde Islamique” qui sert à aider à améliorer la qualité, la recherche et la performance des universités dans le monde Islamique à travers l'utilisation d'indicateurs clés de performance, des lignes directrices et des procédures extraites de celles des expériences internationales ou des meilleures pratiques à travers le monde. Le document a été préparé en application de la décision de la Cinquième Session de la Conférence Ministérielle de l'Enseignement Supérieur (Kuala Lumpur, 19 - 20 Octobre 2010) qui a demandé au Secrétariat Général de l’OCI et à l'ISESCO de le présenter à la Réunion Ministérielle Extraordinaire. La Résolution de la Conférence a demandée à l'organisation de séminaires et d’ateliers pour générer la sensibilisation et la compréhension du document sur les “Indicateurs Clés de Performance: Un guide pour l'Evaluation et la Qualité, l'Amélioration pour les Universités du Monde Islamique”.Elle a également fait appel aux États Membres pour accorder la priorité aux Indicateurs Clés de Performance et leur a recommandé de developper leur système d'assurance de qualité de l'éducation supérieure pour apporter de l'excellence dans l'enseignement universitaire et établir des liens académiques pour capitaliser l'innovation scientifique et technologique, la qualité et les moteurs d’accréditation dans la réalisation de l'excellence éducative. De même, elle a demandé à l'ISESCO et à l'OCI d'organiser régulièrement des Réunion d'Experts de Haut Niveau de Qualité et d'Accréditation composées d'États Membres et Organisations Islamiques concernées pour mettre en place un mécanisme approprié pour le suivi de la mise en œuvre d'Indicateurs Clés de Performance pour la valorisation de l'innovation scientifique et technologique, de la qualité globale et de l'accréditation dans les universités du Monde Islamique. La qualité d'une institution est fondamentale, mais comment la définir? Fournir plus d'infrastructures et d'équipements est important, mais pas la seule clé. La plupart des universités dans les pays islamiques ont une qualité nettement inférieure de l'enseignement et de l'apprentissage. Le lien avec les compétences professionnelles, et la recherche est faible en quantité et en qualité.

Un mauvais enseignement doit plus à des attitudes inappropriées que de ressources matérielles. En règle générale, l'apprentissage par cœur est banni  et l'autorité de l'enseignant est rarement contestée. Les  libertés académiques et culturelles sur les campus sont très limitées dans la plupart des pays musulmans. Les contraintes sont similaires à ceux existant dans la plupart des institutions. Comme dans d'autres universités, les films, le théâtre et la musique sont mal vus, et parfois même des agressions physiques par certains étudiants qui croient que de telles activités violent les normes. Mes collègues et moi-même partageons un constat commun que la plupart du temps des étudiants au cours, ont largement sombré dans le silence et deviennent un preneur de notes, sont de plus en plus timides, et sont moins enclins à poser des questions ou participer aux discussions.

Le dernier point est de discuter de la Science dans la culture. La science est sous pression au niveau mondial. Comme la science devient une partie de plus en plus dominante de la culture humaine, et ses réalisations inspirent à la fois la crainte et la peur. L’évolution et le design intelligent, les restrictions à la recherche génétique, la pseudoscience, la parapsychologie, la croyance dans les OVNI. L'opposition à la science dans l'arène publique prend des formes supplémentaires. Les sites antiscience présents sur Internet, dont certains avec compteurs et dans les centaines de milliers. Un exemple typique et souvent visité, ou on trouvera de tout de la mécanique quantique aux trous noirs en passant par les  gènes qui ont été prévu il y a 1400 ans. La science, dans la vue des fondamentalistes, est principalement considérée comme précieuse pour l'établissement des preuves encore plus de Dieu, ce qui prouve la vérité de l'Islam et du  Coran.

On a l'impression que l'horloge de l'histoire est tombée en panne quelque part au cours du 14ème siècle et que les plans pour la réparation sont, au mieux, rudimentaires. Dans ce point de vue trop répandu, la science n'est pas sur la pensée critique et la sensibilisation, les incertitudes créatives, ou les explorations incessantes. Il manque des sites Web ou des groupes de discussion portant sur les implications philosophiques de la théorie de la relativité, la mécanique quantique, la théorie du chaos, les super cordes, les cellules souches, et d'autres questions scientifiques contemporaines. De même, dans les médias, les discussions sur la science sont très rares. De même les discussions d'étudiants en sciences sur le pourquoi de la lenteur du développement? Bien que le rythme relativement lent du développement scientifique dans les pays musulmans ne peut pas être contesté, de nombreuses explications peuvent et les plus courantes sont carrément fausses. Par exemple, c'est un mythe que les femmes dans les pays musulmans sont largement exclues de l'enseignement supérieur. En fait, les chiffres sont similaires à ceux de nombreux pays occidentaux. Le pourcentage de femmes étudiantes  dans nos universités est de plus de 60%, 35% en Egypte, 67% au Koweït, 27% en Arabie Saoudite, et 41% au Pakistan…. Dans le domaine des sciences physiques et d’ingéniorat, la proportion de femmes inscrites à l’université est à peu près semblable à celle aux États-Unis.

Toutefois, les restrictions sur la liberté des femmes à la fois dans leur vie personnelle et d'avancement professionnel après l'obtention du diplôme sont supérieures, par rapport à leurs homologues masculins. La quasi-absence de la démocratie dans les pays musulmans n'est pas non plus une raison particulièrement importante pour le développement scientifique lent. Il est certainement vrai que les régimes autoritaires nient généralement la liberté de mener des enquêtes, de paralyser les associations professionnelles, et de rendre plus autonomes les universités, et leur contacts avec le monde extérieur. Mais aucun gouvernement musulman d'aujourd'hui, même si dictatorial ou démocratique ne ressemble à la terreur des régimes de Hitler ou de Joseph Staline dans lesquels la science a survécu et même avancé. Un autre mythe est que le monde musulman rejette la nouvelle technologie, n’est pas vrai.  Des modèles de téléphone cellulaire basé sur le GPS offrent des traductions certifiées du Coran, la direction exacte pour les musulmans tout en priant, et étape par étape les instructions pour effectuer le pèlerinage et la Omra.

Les Corans numériques sont déjà très populaires, et des tapis de prière avec puces et boussoles existent. Certaines des raisons relativement plus plausibles pour la lenteur du développement scientifique des pays musulmans sont les suivantes. Tout d'abord, même si une poignée de riches producteurs de pétrole des pays musulmans ont des revenus plus extravagants, le reste sont assez pauvres et dans la même situation que les autres pays en développement. En effet, la moyenne du revenu par habitant de l'OCI pour est nettement inférieure à la moyenne mondiale. Deuxièmement, l'insuffisance de tradition d’écriture en langue arabe par exemple est une raison importante. Environ 80% de la littérature scientifique du monde apparaît d'abord en anglais, et quelques langues traditionnelles dans le monde en développement sont bien adaptées aux nouvelles exigences linguistiques. A l'exception de l'Iran et la Turquie, les taux de traduction sont faibles. Selon un rapport des Nations Unies de 2002 écrit par des intellectuels arabes et publié au Caire, en Egypte, «l'ensemble du monde arabe traduit environ 330 livres par an, soit un cinquième du nombre qui se traduit par la Grèce " Le rapport ajoute que, dans les années 1000, depuis le règne du calife, El-Maamoun les Arabes ont traduit autant de livres que l'Espagne traduit en une seule année. Mais les raisons encore plus profondes sont les attitudes, et non pas le matériel. A la base il y a une  tension entre les modes traditionnels et modernes de la pensée et le comportement social.

Le développement  de la science et de la technologie nécessite l'apprentissage des règles compliquées, mais banales et les procédures qui placent aucune contrainte sur les croyances de tout un chacun sont raisonnables. Un ingénieur des ponts, expert en automatisme ou robotique, ou un microbiologiste peut certainement être un professionnel parfait sans réfléchir aux profonds mystères de l'univers. Seule une petite minorité de scientifiques s’intéresse à la cosmologie, l'indétermination dans les systèmes de mécanique quantique et chaotique, les neurosciences, l'évolution humaine, et d'autres sujets profonds. Par conséquent, on pourrait conclure que le développement de la science n'est pas qu'une question de mettre en place assez d'écoles, universités, bibliothèques et laboratoires, et d'acheter les derniers équipements scientifiques. La science est fondamentalement une idée du système qui s'est développé à partir de la méthode scientifique. L'habitude délibérément cultivée d'esprit scientifique est obligatoire pour un travail fructueux dans tous les domaines scientifiques et connexes où le jugement critique est essentiel. Le progrès scientifique exige constamment que les faits et les hypothèses doivent être vérifiés et revérifiés, et il oublie l'autorité. La méthode scientifique est étrangère au traditionnel. Seule la personne exceptionnelle est capable d'exercer un tel état d'esprit dans une société où l'autorité absolue vient d'en haut, les questions sont posées seulement avec difficulté, les sanctions sont sévères pour l'incrédulité, l'intellect est dénigré, et une certitude existe que toutes les réponses sont déjà connues et ne doivent être découvertes.

 La science trouve son chemin, le long duquel les miracles sont pris à la lettre et au sérieux et est considérée comme la révélation de fournir la connaissance authentique du monde physique. Si la méthode scientifique est saccagée, aucun montant de ressources ou de déclarations d'intention forts pour développer la science ne peut la compenser. Dans ces circonstances, l'activité dans la recherche scientifique devient, au mieux, une sorte de catalogage ou "papillon de collection". Il ne peut pas être un processus créatif de recherche sérieuse dans laquelle des hypothèses audacieuses sont réalisées et vérifiées.

Sihem Jaziri

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