Opinions - 03.03.2014

Le Système d'Enseignent Supérieur tunisien: vers l'autonomie des Universités

Le système d'enseignement supérieur public tunisien compte aujourd’hui, selon le site officiel du Ministère, plus de 316 000 étudiants et 22 000 enseignants répartis sur 13 Universités et 198 établissements, dont 25 Instituts Technologiques relevant de la Direction Générale Ldes Etudes Technologiques.

L'évaluation de cette organisation suscite  quelques éclaircissements. Ceux qui  connaissent mal notre système d'enseignement supérieur, peuvent penser que  les 211 institutions sont tout à fait indépendantes.

Contrairement  à la plupart des universités dans le monde où les étudiants et les enseignants y sont directement affectés, l’université tunisienne se présente plutôt comme un consortium d’établissements. En Tunisie, les universités ont été historiquement conçues comme des annexes administratives du Ministère, comme une représentation régionale en quelque sorte, assurant la coordination administrative entre le ministère et les institutions qui lui sont affectées. Il était donc logique que le Ministre choisisse ses représentants régionaux. Les Présidents des universités étaient donc nommés par le Président de la République sur proposition du Ministre.  Après la révolution de Janvier 2011, le système  a subi un léger changement au niveau de la gouvernance.

Répondant aux aspirations des universitaires et aux revendications de leur syndicat historique, des projets de réformes ont vu le jour, permettant d’améliorer en partie la gouvernance des universités. Ils ont permis de procéder à l’élection de tous les responsables des institutions et  des universités. Les représentants régionaux du Ministère sont désormais élus par un conseil de l’Université qui est lui- même élu démocratiquement. Ce nouveau mode de désignation a rendu les élus  directement responsables devant leurs électeurs.

Mais les réformes  n’ont pas pu aboutir en l’absence d’un cadre juridique adéquat et cohérent. Le système a continué à fonctionner d’une manière centralisée, créant  des situations paradoxales. En effet, le Président élu est redevable à ses électeurs, mais dépend entièrement de l’administration centrale  obéissant à d’autres impératifs. Ce Président, doit rendre des comptes à ses pairs, alors qu’il se trouve sous la dépendance des textes qui le lient directement aux différents services centraux des ministères: premier ministère, ministère des finances, ministère des domaines de l’Etat, ministère des équipements, ministère de tutelle. 

Dotée du statut d’Etablissement Public à caractère administratif, l’Université est régie par le code du marché public et elle est soumise au contrôle préalable des dépenses publiques à travers un dispositif complexe remontant jusqu’au premier ministère. La conséquence de ce système est  un état de paralysie ressenti  par les universitaires  quant à la gestion des fonds, paralysie  engendrée également par la complexité des procédures d’achat et des modalités d’application du code de marché public. L’Université est dotée d’un conseil de l’Université qui est délibératif d’après les textes, mais dont aucune décision ne peut être appliquée en pratique sans le recours à la hiérarchie administrative. La décision relève du Ministère pour tout ce qui concerne la création, la suppression et l’évaluation du parcours de formation  et des structures de recherche. Les capacités d’accueil des étudiants sont également gérées au niveau central.

Le personnel administratif et le personnel enseignant dont les contractuels sont ainsi recrutés directement par le Ministère. Nombreuses sont  les décisions qui doivent  être prises exclusivement au niveau du Ministère de tutelle et qui réduisent en peau de chagrin la marge d’initiative des universités. 

La recherche scientifique se trouve terriblement handicapée par ces contraintes administratives. Les procédures d’achat d’équipements et de mise en place des missions constituent le parcours du combattant du chercheur.

Toute ces difficultés, sur un fond de tensions sociales, venant s’ajouter à tous les autres problèmes  inhérents à cette période de transition démocratique de notre pays, exigent que des solutions contextuelles soient trouvées.

Le contexte actuel de l’enseignement supérieur rend la tâche très difficile quant  à l'élaboration sérieuse et efficiente d’une réforme. Plusieurs problèmes structurels et conjoncturels freinent cet élan. Comme partout dans le monde et dans les pays du sud d’une manière particulière, notre système souffre d’un problème crucial de massification. Il s’agit d’un problème conjoncturel qui ira, certes, en s’estompant dans les années à venir, mais qui doit être correctement géré aujourd’hui pour préserver la qualité de la formation  et des produits engendrés.  Cette massification,  due à un manque flagrant de communication entre les universités et leur environnement socio-économique, a généré un problème de qualification des diplômes.

Pour poser clairement la problématique , nous devons revenir un peu en arrière et nous interroger sur les réformes qui avaient été engagées dans le cadre de ce système depuis 2006, dans le sillage de la dynamique générée en Europe par le processus de Bologne. Cette réforme qui a été financée par des prêts étrangers, Banque mondiale et communauté européenne, avait pour objectif la mise à niveau de notre système d’enseignement supérieur et la reconnaissance de ses diplômes à l’étranger et en Europe en particulier.

Ce qui fait défaut aujourd’hui, c’est beaucoup moins les textes qui sont  nés de cette réforme que leur mise en application et les moyens employés à cet effet.  Beaucoup de lois et de décrets sont restés  lettre morte,  particulièrement ceux relatifs à la gouvernance. Les lois et décrets de 2008, proposaient en effet d’attribuer au statut des établissements d’enseignement supérieur  une plus grande autonomie  pour une meilleure gouvernance. Il manquait la volonté politique et la mobilisation effective des parties concernées pour mettre en application   les propositions que portait l’esprit de ces textes.

Muni  d’une nouvelle constitution, notre pays peut revendiquer une meilleure gouvernance du système d’enseignement supérieur. Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour nous  inciter  à avancer à pas sûr dans la voie d’une véritable réforme universitaire.

Lassaad El Asmi,
Président de l’Université de Carthage
Président de la Conférence Maghrébine
des Responsables des Établissements
 d'Enseignement Supérieur
membres de l'AUF





 

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