Opinions - 28.02.2014

La dérive malthusienne du corporatisme

Un fort corporatisme existe en Tunisie. Il s’est sérieusement affermi ces dernières années à la faveur des bouleversements que connaît le pays depuis le 14 Janvier 2011 et de la place prise par certaines professions dans la conduite du processus politique en cours. Il ne s’agit évidemment pas de ce type de corporatisme lié historiquement aux régimes totalitaires d’Europe Occidentale, mais de l’expression d’une solidarité professionnelle exacerbée et ombrageuse qui oublie parfois le sens de l’intérêt général et n’hésite pas à défier l’Etat et ses lois au nom de motifs très peu défendables en réalité. Le sujet est naturellement tabou, s’agissant de corporations ayant une très grande influence politique ou sociétale.

Un des traits significatifs de ce corporatisme réside dans un malthusianisme sous-jacent  qu’exprime la tentation de ceux qui sont déjà «installés» dans la profession à fermer les portes aux nouveaux «arrivants», en évoquant mille raisons plus au moins respectables, plus au moins plausibles. Cette tentation aboutit à la consécration de ce qu’on appelle le «numerus clausus» (du latin signifiant littéralement nombre fermé). Nul ne cherche  à maîtriser l’augmentation du nombre de menuisiers, de plombiers, de chauffeurs, d’ouvriers ou même de chercheurs, d’ingénieurs et de techniciens, mais on ne sait pour quelle raison certains trouvent normal ou justifié d’appeler à la limitation du seul nombre d’avocats, d’huissiers, de médecins, de pharmaciens ou de chirurgiens dentistes. Si on entre dans cette logique curieuse de protéger certaines professions par la limitation du nombre au nom, si j’osais dire, de la préservation de l’espèce, pourquoi alors protéger les unes et pas les autres?

Cette façon d’aborder les choses dénote en réalité le désarroi de certaines professions face à la crise et aux évolutions socioéconomiques, mais elle dénote plus précisément l’incapacité de certaines corporations à regarder froidement les réalités en face. Depuis quelques années, l’accès à certaines professions est rendu très difficile, non pas seulement en raison de la démographie, mais en raison plus particulièrement de l’impact de l’hérédité  familiale et sociale. Dès à présent et plus encore dans l’avenir, on héritera de l’officine de ses parents comme on héritera de leurs autres biens, faisant ainsi fi de la méritocratie et de la légitime et nécessaire circulation sociale. Dans d’autres professions, une forme d’aristocratie s’instaure à l’intérieur de la même profession, élaguant les moins pourvus en relation sociale et en bagages «multiculturels» à la marge.

Le positionnement corporatiste et foncièrement malthusien de certaines professions est clairement à l’opposé de ce qui doit être pour trouver une solution à nombre de problématiques qui les tenaillent. Et c’est d’autant plus inquiétant que si la première problématique évoquée peut être résolue progressivement par l’affirmation de l’autorité de l’Etat et par une prise de conscience de la profession elle-même, la seconde sera plus difficile à aborder parce que touchant plus directement aux atavismes et aux comportements sociaux. Elle a pourtant des effets de contagion plus dangereux sur d’autres professions et par là même sur l’équilibre d’une société qui n’arrive pas encore à se défaire de certaines entraves mentales  et culturelles hautement régressives.

Habib Touhami

Tags : Habib Touhami   Tunisie  
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3 Commentaires
Les Commentaires
T.B. - 28-02-2014 16:15

On se croirait dans l´Antiquité ou au moyen age quand on voit de tells phénomènes existant encore, comme corporatisme, atavisme,sectarisme, professionalisme,héritage clanique etc.. Mais comme Marx qui a imaginé la suppression du capitalisme dans ses racines, par la transformation des rapports de la société capitaliste(c´était utopique évidemment) il a réussi quand même a instauré le monde du travail comme rival réel du monde de l´économie ou comme on l´appele aussi la bourgeoisie. Dans la Tunisie nouvelle on devrait faire comme dans les démocraties avancées, créer une gauche avec au moins un parti capable de défendre les intêrest du monde du travail, ca crée un équilibre entre la droite,y comprise les éléments les plus rétrogrades, et la gauche. La compétition et la gouvernance mutuelle pourrait faire reculer ces aspects retardataires de la société. En somme la démocratie est le lieu même le plus propice pour résoudre(relativement) ces contradictions¨, paralèllement aux analyses qu´on devrait aussi faire à l´occasion.

hedi - 01-03-2014 02:08

La gauche en Europe se reproduit ;ce sont les memes énarques de la meme promotion qu'on retrouve à droite et à gauche Chirac aurait pu etre un homme de gauche; seule l 'opportunité de carrière les font pencher vers la droite ou la gauche souvent;lareproduction sociale a été dénoncée par Boudieu et le couple de sociologues qui a étudié la France de la grande bourgeoisie et des aristocrates ;de leurs statégies y compris matrimoniale;ils envoient leurs enfants dans les memes écoles;les meme clubs et les prennent en charge dès la naissance pour la reproduction sociale;les politiques sont souvent fils de politiques idem pour les mairies;le cas de la Tunisie est different;mais on y retrouve des similitudes les beldi donnent leurs filles à des fils de riches notables ou polytechniciens ou centraliens;à l'indépendane l 'ascensseur social a fonctionné on avait besoin de cadres puis il s 'est grippé ceux qui ont fait carrière gardent les places au chaud pour leur progéniture;la société s 'est bloquée;le corporatisme a existé il y a des dynasties de théologiens;de medecins; d 'avocats;de chawachas etc rajoutez le cororatisme exacerbé et l'on obtient un cocktail explosif .Commenty remedier doit on instaurer une discrimination positive pour les défavorisés?ouvrir les vannes; après tout on trouve des restaurateurs et des coiffeurs sans numerus clausus ;pourquoi pas pour les huissiers avocats et autres.Cet article a le merite de soulever le voile sur ce problème et sur le lobbing qu'exercent certaines corporations

Béchir Toukabri - 03-03-2014 09:21

Analyse très académique. Pourtant le meilleur exemple d'actualité est celui des avocats, qui en sont arrivés à la violence pour dissimuler la corruption de l'une des leurs. Ou sont les listes noires des "azlems " Ben Alidans le domaine de la justice? Ou est la liste noire dans le secteur des médias? Et dans tous les secteurs economiques et professionnels?

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