Success Story - 16.02.2014

Raouf Ben Ali: Le vétéran, le pionnier

Le 17 janvier dernier, Raouf Ben Ali, figure de proue du journalisme sportif tunisien, a soufflé sa 87ème bougie. Cette icône, hélas méconnue, mérite de voir ses accomplissements et ses contributions à la promotion du sport national rappelés et préservés de l’oubli.

Il y a soixante ans, Raouf Ben Ali débutait à la radio tunisienne sous l’égide de Abdelaziz Laroui comme responsable des émissions sportives en langue française. Ce fut alors le démarrage d’une trajectoire qui se prolongera sur les ondes de radio Monastir jusqu’en 2000. Mais entre-temps, que de péripéties dans cet univers dynamique et instable !

Flash-back

Né à Monastir en 1927, ce Soussien de souche poursuit ses études secondaires en deux étapes : la première au lycée de Sousse et la seconde au collège Sadiki. Son diplôme, obtenu en 1948, ne lui suffit pas : il le complète par une formation supplémentaire d’un an à l’Ecole normale et s’engage alors dans la vie professionnelle comme instituteur ; il fait ses débuts à Bouargoub qu’il traversait souvent dans ses navettes régulières entre Sousse et Tunis. Il retrouve la capitale ensuite pour un intermède avant de découvrir Fajet Khemakhem du côté de Mornaguia et de se retrouver à Hammam-Lif. En 1954, au moment des négociations de l’autonomie interne, il reçoit deux clins d’œil: le premier du ministère qui le sollicite pour assister le chef du service de l’enseignement primaire, Hmida Békir, qui le charge du personnel; le second provenant de la radio. La vie s’accélère donc pour ce jeune de 27 ans placé devant autant de responsabilités.

Les hommes et les moments forts

A la radio, Raouf Ben Ali succède à un Français en poste depuis bien longtemps, Lucien Vincent Pauletti. Sa passion pour le sport, conjuguée à sa maîtrise de la langue française, lui permet d’accélérer son apprentissage. Il fréquente alors les stades pour couvrir les rencontres de football, ce qui lui permet de découvrir des talents tunisiens mais aussi algériens, libyens et européens. Raouf Ben Ali s’imprègne d’une compétition dominée d’abord par le CS Hammam-Lif de Slaheddine Bey avec sa constellation de vedettes et sa légion étrangère, puis animée par le Stade Tunisien fondé en 1948 par Mohamed Ben Salem, gendre du Bey.

Bonjour la télévision

En mai 1966, la Télévision tunisienne démarre. Raouf Ben Ali a donc été tout naturellement choisi pour animer les programmes sportifs. L’homme est prêt moyennant son perfectionnement dans la langue arabe. Ainsi Raouf Ben Ali, voix identifiable, devient un visage familier et un commentateur au style unique. Son premier grand événement qui coïncide avec le démarrage de la Télévision fut la Coupe du monde en Angleterre. Il est témoin des déboires de Pelé, maltraité par la défense portugaise, et du Brésil, éliminé au prix d’une conspiration feutrée. C’est à Raouf Ben Ali que devait échoir le commentaire de la première finale retransmise en direct par la Télévision, le 30 juillet 1966. Aussi devait-il commenter les péripéties pathétiques de ce duel Angleterre-RFA disputé dans un stade légendaire, le Wembley, et entrecoupé de faits insolites dont le troisième but anglais validé par l’arbitre suisse Dienst et qui offre au pays organisateur sa première et unique coupe.

Mais il ne monopolise pas pour autant la scène, faisant appel aux journalistes de la presse écrite comme Abdelhamid Ben Hamida, Mokhtar Ismail, Mohamed Boughnim (L’Action) et Tahar Mbarek, le reporter attitré de la Radio, en bonne harmonie avec Ali Aissaoui, le chef du service des sports et ancien collègue au JPF (journal parlé en français) où Raouf Ben Ali eut à collaborer grâce à sa bonne élocution. Evidemment, c’est lui qui est désigné pour produire et présenter Dimanche Sport avec des moyens techniques fort réduits. En prévision des Jeux méditerranéens de Tunis, il se met en position de détachement auprès de la RTT, mais il ne prolonge pas au-delà d’un an en raison d’un différend avec Mohamed Mzali, le directeur général et néanmoins camarade de classe. Cela ne compromet point la position du producteur qui poursuit son chemin à l’antenne. Cela durera jusqu’en 1975 quand Raouf Ben Ali prit la ferme résolution de quitter le lycée de Carthage pour s’installer à Sousse par souci de protéger ses enfants conformément à son attachement à des valeurs humaines immuables, ayant constaté de visu l’apparition d’une génération d’enfants dangereusement gâtés. Il passe alors le témoin à son collaborateur Mohamed Meddeb et sa nouvelle vague de jeunes journalistes, lesquels profitent de l’amélioration des moyens techniques pour couvrir tous les matchs de la Nationale.

Le globe-trotter

En vingt ans de bons et loyaux services rendus à la RTT, Raouf Ben Ali a cumulé tous les événements sportifs à l’échelle planétaire, soit au total sept grands rassemblements: quatre Jeux Olympiques, de 1960 à 72, et trois Coupes du monde (1966, 70, 74). Il démarre son aventure donc aux JO de Rome en 1960 marqués par les trois défaites de nos footballeurs. Ensuite à Tokyo en 1964 où Gammoudi remporte la médaille d’argent au 10.000m après avoir fait figure de vainqueur. Son émotion connaîtra son paroxysme le 19 octobre 1968 à Mexico lors du finish épique entre Gammoudi et le Kényan Keino revenu au champion tunisien. Il revenait à Raouf Ben Ali de restituer ce moment exceptionnel aux téléspectateurs accaparés par le petit écran. Raouf Ben Ali se souvient, quarante-cinq ans plus tard, du concours sonore et spontané de Laura Kohl, l’épouse alsacienne de l’ambassadeur honoraire de la Tunisie à Mexico, pour témoigner de son bonheur, ce qui est parvenu aux téléspectateurs en télescopage avec son propre commentaire. Quatre ans plus tard, à Munich, ce sera la chute de Gammoudi au 10.000m qui l’affecte, avant la consolation au 5.000m avec l’argent derrière l’imbattable du fond, le Finlandais Lasse Viren. Ce sera son dernier rendez-vous avec le gratin mondial puisque l’année suivante, il s’installe à Sousse pour le dernier virage professionnel qui se profile avec un mixage entre l’Education nationale et le secteur privé. Sans jamais abandonner sa pipe devenue inséparable de son portrait et de son image. En 1977, Raouf Ben Ali est rattrapé par le micro à la faveur de la création de Radio Monastir avec d’emblée une mise à l’épreuve très contraignante et combien enrichissante: les premiers championnats du monde juniors de football (groupe de Sousse). Il apporte alors son expérience et accompagne Frej Ajina et Mansour Nabli dans la programmation et l’animation tout en imprégnant une ligne éditoriale et un style propre encore balbutiants.

En 1985, Raouf Ben Ali prend sa retraite à la fonction publique mais continue son bonhomme de chemin à la radio avec une extension dans les domaines culturel et touristique. Cela durera environ une décennie avec d’évidents dividendes pour tous.

Un style à part

Ceux qui ont connu et écouté les reportages de Raouf Ben Ali en langue française se rappellent sans doute le professionnalisme de ce maître en la matière. Il est vrai que le reportage était assuré à partir de la ligne de touche soit au Géo André  (Zouiten), soit au Young Pérez (El Menzah). A la télé, ce fut la prononciation des noms de joueurs européens, notamment Gerd Müller, qui rendait ses commentaires encore plus authentiques et personnalisés. Aujourd’hui, Raouf Ben Ali, qui a connu l’adversité avec la perte de deux êtres chers, son épouse et son fils médecin, se contente de suivre l’actualité avec scepticisme et nostalgie car ni le sport ni l’éducation nationale ni quoi que ce soit ne parviennent à lui offrir des motifs de croire en de lendemains meilleurs.

Mohamed Kilani
 

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