Opinions - 12.02.2014

Quelle nouvelle feuille de route pour le tourisme tunisien?

Apres trois années de désenchantement, je suis très heureux de constater que la désignation du gouvernement Jomaa et de la nouvelle ministre du tourisme, Mme Amel Karboul, ait provoqué un début de débat sur les voies et moyens de sauver le tourisme tunisien  de ses mauvais reflexes.

Améliorer la gestion du produit touristique tunisien est de toute évidence nécessaire pour plusieurs raisons dont notamment l’apport de ce secteur pour l’économie tunisienne, en termes de pourcentage du GNP, du nombre d’emplois qu’il procure, et de son effet induit sur la promotion des investissements extérieurs.  Rien de plus que le tourisme ne peut rehausser l’image de marque de la Tunisie et convaincre les opérateurs économiques étrangers de la stabilité et de la sécurité dans le pays. La promotion touristique est en plus le meilleur vecteur à même de valoriser  le riche héritage civilisationnel du pays sur le plan international.

Absence d'initiatives porteuses et de stratégie de communication cohérente

De prime abord,  je dois préciser que si je m’exprime aujourd’hui au sujet de la situation du secteur touristique tunisien, c’est en fonction de mon expérience en tant que professionnel international du tourisme et des voyages. Depuis plus de 30 ans, j’ai investi beaucoup de temps,  de moyens et de passion dans la promotion de la Tunisie en tant que destination touristique mondiale. Dans la conjoncture actuelle où l’avenir du tourisme tunisien est en train d’être débattu, je me sens personnellement concerné. Et c’est une source de fierté pour moi de pouvoir contribuer à ce débat.

Je dois commencer par dire, qu’en tant que professionnel du secteur touristique, rien ne m’a autant contrarié depuis la révolution que le manque d’initiatives réellement porteuses et l’absence de stratégie de communication cohérente, de la part du Ministère du tourisme et de l’ONTT. Tout en respectant les efforts déployés par les grands commis de l’Etat dans ce secteur, je suis content que le portefeuille du tourisme vient d’être confié une praticienne privée versée dans les mérites du «changement».  Je suis sûr que sa conception à Mme Karboul du «changement» n’est pas celle des slogans creux et des vœux pieux qui n’ont pas pu apporter au tourisme tunisien les mutations nécessaires dont il avait besoin durant les trois dernières années.

Je ne vois en effet aucune justification à la léthargie et l’inefficacité qui ont trop duré depuis la révolution.  Insécurité et terrorisme,  dites-vous ? La Tunisie n’a pas été le seul pays à avoir été impacté par des incidents terroristes. La Turquie, la Croatie, la Grèce, le Maroc et même les plus grandes destinations touristiques comme les Etats Unis, la France, l’Espagne et l’Angleterre, ont été victimes d’attentats meurtriers. Mais ils ont pu rebondir grâce à des stratégies de communication intégrées, des plans médiatiques adaptés et des campagnes de promotion créatives.  Il aurait fallu établir des stratégies de com qui rassurent tout en tirant profit de la notoriété grandissante de la Tunisie de par le monde.  On attend encore.

Je ne sais pas ce que pourra corriger Mme Amel Karboul dans moins d’une année. Mais elle pourra, même en ce court laps de temps, envoyer les signaux nécessaires en vue de mettre le secteur sur de bons rails. Elle ne devra pas se laisser entrainer  dans les mêmes sentiers stériles suivis jusqu’à présent.  Ce secteur a navigué  trop longtemps sans véritable feuille de route. Dans l’improvisation qui a trop souvent prévalu, seuls l’échec et le gaspillage de budgets étaient prévisibles. 

Il faudra commencer par mieux écouter et faire participer les voyagistes,  les hôteliers, les transporteurs  et autres opérateurs privés,  qu'ils soient Tunisiens ou étrangers. Ces opérateurs, qui ont intérêt  à ce que le tourisme tunisien décolle, n’attendent que l’occasion pour contribuer à la conception et à la mise en œuvre de nouvelles approches plus efficaces. Dépêcher de larges délégations officielles  aux foires touristiques de par le monde  ne pourra pas résoudre les problèmes du secteur. Les tours opérateurs et professionnels privés pourront probablement mieux s’acquitter de cette tâche. 

Il est impératif, aussi, de montrer rapidement et par des actes tangibles un intérêt réel pour le tourisme culturel. En dehors de leurs déclarations de foi lors des séminaires dits de « réflexion stratégiques », les responsables, ont continué  à afficher  un optimisme béat  en la capacité du  tourisme balnéaire à drainer les touristes. Ils ont malheureusement  sous-estimé ( et continuent peut-être encore à sous-estimer)  la valeur des richesses archéologiques et historiques du pays comme force d’attraction inestimable pour le tourisme.

S'intéresser davantage au marché américain

Aussi est-il nécessaire d’éviter dans l’heure actuelle les campagnes publicitaires couteuses et irréfléchies.  Les campagnes menées depuis la révolution étaient trop souvent un gaspillage énorme de deniers publics. Les responsables du tourisme ont toujours su, par exemple, que l’Internet constituait une des plus grands vecteurs de promotion touristiques, et pas seulement de pays lointains d’Asie et d’Amérique. Mais ils ont curieusement préféré dépenser des millions d’Euros dans des campagnes d’affichage  et de publicité télévisuelles mal-inspirées. L’exploitation de l’ Internet et des réseaux sociaux pourraient  se révéler profitable dans l’immediat sans être couteuse.

Il faut se débarrasser également de cette vision étriquée de la géographie mondiale ;  et se concentrer sérieusement sur les marchés potentiellement rapporteurs en devises étrangères, comme le marché américain.  Les touristes américains qui viennent en Tunisie dépensent entre huit et dix fois plus que les touristes des vols charter, du soleil et des plages. Et pourtant très peu d’efforts ont été traditionnellement menés pour les attirer. Le fait qu’il n’y ait pas de ligne aérienne directe entre la Tunisie et les Etats Unis est un problème illusoire dont il faut se débarrasser. Les alliances «Code-Share» ont métamorphosé l’industrie touristique et le transport aérien.  Si les touristes américains se dirigent en grands nombres vers telles destinations que la Croatie, Myanmar ou le Vietnam ce n’est pas parce qu’ils peuvent voyager « non-stop » vers ces pays. Ce qui manque pour attirer les touristes américains ce n’est pas l’existence d’une ligne directe mais des actions promotionnelles  adaptées  et ciblées.

Pour attirer les touristes potentiels en provenance des Etats Unis, et d’autres pays du monde, dans la conjoncture actuelle, il faudra chercher à rassurer.  Avec les dernières réussites dans  l’effort tunisien de  lutte anti-terroriste,  il ne sera pas difficile de mettre en place une communication publique globale mettant en exergue l’attachement des autorités à la sécurité de ses visiteurs.

En attendant d’introduire les rectificatifs qui s’imposent à court terme aux stratégies de promotion,  certaines mesures pratiques peuvent être mises en œuvre dans l’immédiat:

  • On pourrait rendre le déplacement des touristes étrangers  en Tunisie moins imprévisible et moins désagréable, et ce tout simplement en protégeant ces visiteurs de l’opportunisme agaçant  d’un  bon nombre de chauffeurs de taxis guettant l’arrivée de « proies faciles » aux aéroports du pays. Si les autorités compétentes du pays décidaient d’appliquer la règlementation en vigueur, elles pourraient immédiatement résoudre ce problème sans dépenser le moindre  sou.
  • Il faut urgemment mettre fin aux causes des retards intempestifs des vols du transporteur national, Tunisair.  Cette compagnie, qui se veut le porte-étendard du « label Tunisie »,  ne peut pas continuer à trainer une réputation malheureuse d’une compagnie aérienne dont les avions ne partent jamais à temps.
  • Rétablir la propreté dans les environnements directs des hôtels mais aussi dans toutes les villes et divers sites du pays. C’est malheureusement la saleté et les odeurs nauséabondes qui accueillent aujourd’hui les touristes étrangers. Aucun visiteur n’est prêt à séjourner dans un pays où les rues et les places publiques servent de dépotoirs ouverts. Mégots de cigarettes, bouteilles en plastique et pots de yoghourts jonchent les plages. Et ce ne sont pas seulement les visiteurs Allemands, comme l’a récemment remarqué  Mme Karboul, mais les touristes de toutes les nationalités qui en sont choqués.  Endiguer ce mal qui ronge la réputation touristique de la Tunisie nécessite une mobilisation immédiate de l’administration, des pouvoirs locaux et de la société civile dans tout le pays.

Le  meilleur atout de la Tunisie reste évidemment sa population tolérante et hospitalière. Je ne parle pas seulement du personnel touristique, qui à l’aide de programmes de formation et de perfectionnement adéquats, pourrait devenir un des meilleurs du monde. Je parle de tout un peuple éduqué, polyglotte et ouvert sur les autres cultures, qui pourrait mieux expliquer les grands atouts de la Tunisie à ses visiteurs étrangers. La mer, la plage et le soleil ne suffisent évidemment plus.

(Les intertitres sont de la rédaction)

(*) Jerry Sorkin est le fondateur et président des compagnies « TunisUSA » www.TunisUSA.com et « Iconic Journeys Worldwide » www.IconicJourneysWorldwide.com, spécialisées dans le tourisme culturel dans la région du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord.
Il a été choisi cinq années de suite comme « meilleur spécialiste de la Tunisie » par la revue spécialisée Conde Nast traveller.  Il a été derrière la publication dans cette revue, en janvier dernier, d’un grand reportage sur la Tunisie  intitulé « Tunisia’s Time ». 
M. Sorkin  est aussi président d’honneur de l’association d’amitié américano-tunisienne  (ATA) www.americantunisianassociation.com. Il exprime dans cet article ses points de vue personnels et non pas ceux de l’association.

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