Opinions - 03.02.2014

Omar S'habou: Lettre à Mehdi Jomaa et Lotfi Ben Jeddou

Une sorte de péché originel chahute  les hautes fonctions étatiques qui sont aujourd’hui les vôtres. Il est né de votre mitoyenneté avec Ennahdha.

Vous concernant, Si Lotfi, vos camarades d’université avaient  bien noté et suivi dans le temps vos inclinaisons claires envers le Mouvement de la Tendance Islamique ( MTI)  devenu en 1989 «Ennahdha», tandis que Rached Gannouchi n’a pas cherché à cacher, dans un discours fait à Tataouine devant  les militants nahdhaouis, que vous êtes son ami. Et, s’agissant de votre action à la tête du Ministère de l’Intérieur, elle ne laisse pas de susciter les plus fortes réserves et soupçons qui ont trait  à deux faits indiscutables: primo,  vous avez gardé la pyramide administrative et sécuritaire  inféodée à Ennahdha (selon  plus d’une source syndicale) installée par votre prédécesseur au sein du ministère;  secundo,  vous avez fait preuve de laxisme – le moins qu’on puisse dire – dans  la gestion du  fait terroriste;  ce qui a engendré dans l’esprit de l’opinion publique la  tenace et désagréable impression que vous êtes, à tort ou à raison, en connivence. Il est difficile d’oublier aussi,  dans le même ordre d’idées,  votre  incompréhensible et inédite (dans les annales mondiales)  carence – pour ne pas dire autre chose – dans la prévoyance de l’assassinat de Mohamed Brahmi. Un télégramme en bonne et due forme de la CIA qui vous  prévient  de l’identité de la victime et de l’échéance temporelle du crime est tout simplement négligé. L’histoire du pays aurait été autre si  l’avertissement avait été pris en compte. Dans d’autres pays, auxquels nous aspirons à ressembler, vous aurez été contraint  à  la démission ainsi qu’à celle du gouvernement Laaraydh…

Vous concernant Si Mehdi Jomaa votre accession au poste de premier ministre est viciée à la base par trois faits: le premier est relatif à votre première appartenance   à un gouvernement  nommé par la troïka dont on sait qu’elle est  solidement dominée par Ennahdha.  Et c’est grâce à la bénédiction de celle-ci que vous  devez votre retour en Tunisie et votre «ministrabilité». Et Il est difficile de penser que Ennahdha peut bénir un ennemi. De votre côté, et tel que vous êtes, vous ne semblez  pas être de ceux   qui conjuguent l’ingratitude à tous les modes.

Le deuxième fait concerne votre  désignation au poste de premier ministre par un consensus boiteux dont Ennahdha aura été le moteur silencieux . Et le troisième réside dans le fait que vous avez choisi de garder, contre vents et marées, Lotfi Ben Jeddou alors que vous êtes sans ignorer les très fortes réserves et appréhensions qui entachent son action à la tête du Ministère de l’intérieur, le plus souverain des ministères de souveraineté !
Savez-vous si Mehdi que celui qui s’asseoit sur le fauteuil sur lequel se sont auparavant assis Taieb M’hiri, Beji Caied Essebsi, Ahmed Mestiri, Driss Guigua, Tahar Belkhoja – entre autres – s’habite, sans qu’il s’en aperçoive,  d’une sorte de mystique du pouvoir ! Il découvre qu’il lui suffit d’appuyer sur un simple bouton pour que sa volonté couvre  tout le pays ! C’est magique !  Il est  par conséquent très difficile de croire qu’Ennahdha, après avoir installé sa pyramide – horizontalement et verticalement – puisse  l’abandonner,  comme si de rien n’était,  à quelqu’un qui risque de la défaire…Aussi votre refus de vous séparer de Ben Jéddou  d’une part et son propre refus à lui de démissionner d’autre part  ne peuvent qu’alimenter outrageusement les doutes quant à votre intelligence avec Ennahdha. D’autant que Ben Jeddou  a justifié son refus par une raison à peine recevable ! «  J’ai obtempéré à l’insistance des syndicats de police»  a-t-il dit !  Est-ce qu’il aurait obtempéré s’ils  avaient insisté pour qu’il démissionne?

Vous êtes par conséquent tous les deux sujets à de fortes présomptions d’entente voire de complicité avec Ennahdha. Et vous ne pouvez pas l’ignorer…Mais il se trouve, pour votre bonheur, que les tunisiens, désireux ardemment de  voir une autre équipe et d’autres visages à la tête de l’Etat,  semblent  avoir choisi collectivement d’ignorer ces présomptions et ces appréhensions et de vous accorder le préjugé favorable !  Et c’est tant mieux !

Le choix devient alors, pour vous deux, clair, simple et, en même temps, historique!

Il importe, d’abord et surtout,  de ne pas oublier que vous êtes politiquement nés de la matrice du triptyque : dialogue national, feuille de route et quartet. Toute traitrise  vis-à-vis de  cette matrice non seulement vous dépouillera de la légitimité qui en est issue mais vous frappera de malédiction. C’est  le cas classique  du fils qui renie sa mère. Toute félonie par rapport à l’esprit et à la lettre de cette matrice vous fera perdre votre raison d’être. Tout simplement. La feuille de route et ses implications et rien que la feuille de route ! En d’autres termes : la dissolution des  comités de protection de la révolution ; la révision des nominations partisanes ; la lumière sur les assassins des martyrs  (Nagedh, Belaid et Brahmi) et la préparation d’élections trans- pa-ren-tes ! Comme celles sur  la régularité desquelles à veillé avec succès le gouvernement Caied Essebsi.  Je vous prie d’ailleurs de vous pondérer sur ces élections du 23 octobre et à bien  prendre note de  l’ineffaçable reconnaissance et inaliénable légitimité qu’en a gagnées  Caied Essebsi. Même le viscéral haineux Ghanouchi (vis-à-vis des bourguibiens) a reconnu que «Caied Essebsi est entré, ce faisant, par la grande porte de l’Histoire!» C’est tout dire!

Caied Essebsi, en tant que premier ministre et Habib Essid, en tant que ministre de l’intérieur (tous deux  issus soit dit en passant de l’école destourienne pure) ont fait faire au peuple tunisien un bond décisif vers l’exemplarité électorale ! A vous deux d’en faire définitivement une culture politique nationale ! Vous en conserverez intactes  la légitimité et la primauté qui vous autoriseront demain à revendiquer, à juste titre,  les plus hautes charges de l’Etat.

Peut-être que vous êtes tiraillés d’une part par un sincère désir de servir la patrie et d’en faire le modèle souhaité  et, d’autre part,  par  l’antinomique désir de rendre service aussi à celui qui vous a fait Rois : Ennahdha et son Ghannouchi. C’est humain! Mais sachez, je vous prie, que le plus noble et le plus élégant service que vous puissiez rendre à Ennahdha, c’est de l’aider à s’affranchir de  ses dogmes « fréristes », de son   obsession du pouvoir et de sa peur de le perdre de crainte de quelque représailles et règlements de compte, c’est de contribuer à lui apprendre  à se libérer de sa culture absolutiste et de s’imprégner  de celle qui fait du laïc un tunisien, de l’alternance une liberté  et du modernisme un complément de l’islam !  Aidez les  patriotes que compte Ennahdha à  transformer leur parti en mouvements d’«islamsites démocartes» à l’exemple des chrétiens démocrates européens! Et c’est possible ! J’en connais personnellement qui caressent  ce rêve!
Soyez en tout cas certains que les tunisiennes et les tunisiens vous soutiendront de toute leur énergie des qu’ils constateront que vous êtes déterminés  à transcender   vos  compréhensibles penchants humains et à  vous élever vers ce que l’histoire vous demande d’accomplir au service de notre pays ! Un pays qui a vocation historique à  être et à rester  un exemple  et un phare ! Mais si, par malheur, il en est autrement: un engagement illicite, serpentueux  et finalement «criminel» de votre part au service d’un agenda politique  autre que national, ce sera, je vous le dis sans ambages,  la guerre civile ! Nous y avons été proches au lendemain de l’assassinat des deux martyrs ; nous y serons en plein si  trahison est constatée !  Parce que les tunisiennes et les tunisiens ne  voudront plus jamais – et  à aucun prix – que  leur liberté et  leur dignité de peuple mûr et responsable soient à nouveau assujettis à quelques  perversion,  imposture, mystification ou tromperie que ce soit !
A vous de jouer et que le Ciel vous vienne en aide!

Omar S’habou

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
9 Commentaires
Les Commentaires
berger - 03-02-2014 20:48

Monsieur, même si vous semblez lâcher du lest à la fin, votre article est un véritable proces d´intention de bout à bout. D´abord dans les pays démocratiques personne n´est constraint, il ny a pas de contrainte car la politique n´est pas une affaire personelle mais sociale. Il faut toujours une majorité pour prendre une decision quelle qu´elle soit, il arrive de se trouver devant des situation qui ressemble à une scène qui se déroule dans un jardin d´enfants, eh bien qu´a cela ne tienne , la démocratie avant tout et c´est ca qui est pris en compte. Je crois que vous comprenez qu´il faut donnez le temps au gouvernement de travailler et jugeons sur les faits et démocratiquement.Le pays sera construit à l´image du peuple Tunisien , qui est très divers dans sa formation. Il faut s habituer à ca.C´est la démocratie. Il n´y a pas de trahison là , si on n´ est pas content il faut changer la politique par des élecions.

Mohamed Obey - 03-02-2014 22:34

Très belle lettre M. Omar Shabou! je vous souhaite tout le succès...

el khlifi mokhtar - 03-02-2014 23:17

Mehdi Jomâa et Ben Jeddou doivent démontrer le contraire par des décisions concretes s'inscrivant dans la feuille de route, sinon je dois m'inscrire parmi ceux qui ont été bernés!

tousi - 04-02-2014 00:43

Un article clair ;dense qui fait le tour d 'horizon de la situation et des défis qui attendent Mehdi Ben Jemaa.En premier lieu devenir rapidement un chef de gouvernement donc un politiue(dans le monde entier les technocrates ont une formation sans grande culture;comparez un Mitterand qui parlait littérature à un Sarkosy qui telephone avec son portable chez le pape ou hollande Enarque formaté à l 'Ena.Ennahda vous a choisi;ils ne choisissent pas au hasard;vous sortez de L'ENIT;qui n 'offre aucune option pour des études philosophiques ;le progres ;le sens à lui donner;l 'ethique ;la bio_éthique;les certitudes ;le doute;l histoire comtemporaine bref les humanités.pur les étudiants de l'ENIT 1+1=2;en politique pour MAO 1+1=1;c 'est l 'equation à résoudre.Ennahda estpour le liberalisme sauvage;cequi signifie coupe claire dans les dépenses publiquestelle que la Santé ;l 'Ecole;l 'Infrastructure;(ce qui ne l 'empeche pas en ces temps d 'austérité d 'augmenter une dispentieuse masse salariale uniquement par allégeance et népotisme);vous étirz un cadrede TOTAL major frnçaise,qui paie zéro impot en France alors que les petites retraites sont ponctionnés;vous etes pour l 'exploitation du gaz de shistedans un pays ou un bon tires de la population n 'a pas accès à l 'eau potable et ceux qui y ont acces sont en droit de se demander est elle sans danger pour la santé?il faut une eau saine pour irriguer les champs la television nous montre des paysansdont les enfants vont louer leurs bras ailleurs alors qu'ils auraient pu exploiter leurs lopins de terre et vivre harmonieusement dans leur eco systeme.Lamaitrise de l 'eau sera le probleme du siecle la Chine en manque;je ne vais pas m 'étendre;Tout cela pour vous dire qu'exploiter les gazs de shiste actuellement est dangereux écologiquement.vous etes pere de cinq enfants ce qui est rare dans votre tranche d 'age.Pourriez vousagir en toute indépendance vis à vie de tous les partis tout en en tennt compte ;les petits gestes sont les bienvenus mais les vraies réformes ;celles qui engagent le societal ;l écnomique, le culturel, le social quand Marzouki dit publiquement qu'il peut vous démettre à tout moment;AYez pour horizon l Interet superieur du pays et toute la sociéte civile sera derriere vous ;ne vous auto _enchainez pas;vous n 'avez pas d 'ascensseur à revoyer mais à remettre un pays sur les rails.La politique n 'est pas un pays de bisounours c 'est un monde dur;ou il faut lutter et personne ne vous fera de cadeaux

fathi - 04-02-2014 14:25

ne vous inquiétez M. Shabou. Ben Jeddou ne restera pas longtemps au ministere. il payera pour tout eventuel echec au ministere de l'interieur et il quitera son poste. Un ministre qui n'a pas le droit de choisir ses directeurs généraux ne peut en aucun cas diriger son ministère comme il l'entend et assumer ainsi toutes les conséquences.

FBF - 08-02-2014 18:52

Merci si Omar pour votre franc parler et vos conseils à M.J. Cela dénote de votre patriotisme et de votre générosité de coeur que de prodiguer des conseils à ses adversaires. Le passage sur l'effort que doit déployer Ennahdha, l'adversaire des tunisiens, pour changer son image et ses visions de la société tunisienne vous vaudra beaucoup de respect. J'espère qu'ils sauront écouter et apprendre.

sejir chebil - 22-02-2014 08:03

Le message est clair, pourvu que les destinataires accusent réception, mais j'ai peur de la magie du pouvoir, à laquelle succombe tout etre humain, et qui le dévie du "bon chemin", M.J.et L.B.J feront-ils exception? that is the question, et attendons voir...

Zouhir - 22-02-2014 13:13

L'article est un véritable procès d´intention.... Shabou écrit à Jomaa "Il est difficile de penser que Ennahdha peut bénir un ennemi". Donc, Jomaa pour Shabou n'est pas indépendant, car pour Shabou un indépendant doit être nécessairement un ennemi d'Ennahdha! C’est le Bushisme version tunisienne… Tu es avec nous ou contre nous… Ce sont ces malades - type Shabou et compagnies - qui risquent de reconduire le pays dans une impasse, le mener vers une crise …Nous tunisiens, on ne peut pas se respecter et s’accepter?

Rafik - 27-02-2014 07:47

Un très bon article de si Omar Shabou, bien analysé, des vérités dites par un homme averti ce que plusieurs ignorent. C'est exactement ce que pense toute personne qui observe de prés la situation du pays. Notre objectif est de faire sortir notre pays du creux de la vague et c'est ce que souhaite tout patriote qui aime notre Tunisie.

X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.