Lu pour vous - 03.12.2013

Les récits de voyage et les sources inédites sur les provinces arabes à l'époque ottomane

Les réalisations des études arabes sur les provinces arabes à l’époque ottomane ne peuvent être ignorées. Depuis quarante ans, de nombreux historiens sont apparus dans l’espace arabo-musulman et ont préparé des études académiques avant-gardistes dans les universités arabes ou européennes ou américaines qui ont contribué à faire évoluer la recherche historique arabe. Ils ont pris conscience de l’importance de l’énorme fond d’archives arabe qui n’a que rarement été exploité par les chercheurs arabes et européens, contrairement aux Américains qui s’y sont intéressés dans leurs études.

Certains historiens turcs, notamment parmi l’ancienne génération, ont fait honneur à la recherche historique sur l’époque ottomane en général, bien que la part des études sur les provinces arabes ait été très mince. Cela traduit l’absence d’une vision claire sur l’ensemble de l’Empire ottoman, au Maghreb, au Machrek, en Anatolie et dans les Balkans. Quant aux historiens turcs de la nouvelle génération et vu leur connaissance limitée des documents ottomans rédigés en eski Turku, ils ont tiré profit de l’énorme fond d’archives ottomanes pour tout ce qui a trait à l’espace anatolien et aux pays des Balkans et sont devenus des références essentielles dans ce champ d’études. L’histoire des provinces arabes n’a pas encore bénéficié de l’importance qui lui est due, sauf de la part de quelques historiens turcs qui ont fourni des efforts exceptionnels et personnels pour encadrer et encourager la nouvelle génération d’historiens turcs et arabes qui préparent leurs travaux universitaires dans des universités turques afin de développer ce champ d’études.

S’agissant des jeunes historiens arabes, ils ont compris l’importance des archives ottomanes sur les provinces arabes. Leur nombre reste encore limité en comparaison avec l’importance de l’héritage archivistique turc. La recherche historique arabe sur l’époque ottomane n’a pas réellement évolué à cause de l’absence de communication et de dialogue entre les historiens arabes eux-mêmes et entre eux et leurs homologues turcs, européens et américains. Tous souffrent de l’absence de tribune scientifique visant à approfondir le dialogue et développer ces études en se basant sur de nouvelles méthodologies historiques qui aideraient la recherche arabe à évoluer. Il faut regretter que les deux Unions des Historiens Arabes, de Baghdad et du Caire, n’aient joué aucun rôle dans le rayonnement de la recherche. Depuis leur création, leur rôle a été constamment négatif à cause de l’absence de stratégie claire en matière de recherche. L’union du Caire n’a par exemple pas contribué à l’étude des milliers de documents égytiens et ottomans se trouvant en Egypte. Aucune politique de publication des sources de l’histoire égyptienne à l’époque ottomane n’a été adoptée. Son activité s’est limitée à l’organisation de colloques routiniers sans qu’ils ne soient couronnés par l’émergence d’une dynamique de recherche qui prendrait en considération les avancées méthodologiques des écoles historiques importantes au niveau mondial. Nous ne pouvons en revanche pas nier l’importance des travaux de nombreux historiens égyptiens tels que Ahmed Izzat Abdal Karim ou encore Mohamed Chafiq Ghorbal sans oublier Abdal Rahim Abdal Rahman Abdal Rahim qui ont laissé un héritage honorable d’études et de la publication de milliers de documents extraits des registres des tribunaux shar‘i égyptiens. C’est un exploit que peu d’historiens aujourd’hui seraient capables de réaliser. Ils l’ont fait en espérant élever le niveau de la recherche historique égyptienne et arabe en général.

Il faut ici rendre hommage à certains historiens arabes qui travaillent de façon indépendante sans qu’une tribune arabe ne les réunisse et n’ont pas, jusqu’à aujourd’hui, une revue académique bénéficiant d’une reconnaissance arabe et internationale, ce qui est regrettable pour le monde arabe qui comprend plus de 300 structures universitaires et de recherche.

Nous avons essayé, il y a plus de 23 ans, de combler ce vide en créant une revue académique qui est l’Arab Historical Review for Ottoman Studies, qui est devenue une référence spécialisée importante et reconnue dans le monde. Nous y avons publié des centaines d’études en arabe, en français et en anglais. La revue a mis à la disposition des historiens un outil de travail académique et a encouragé les travaux des jeunes historiens.
Aujourd’hui, nous y réunissons les travaux du quinzième congrès international d’études ottomanes portant sur deux dossiers importants : la littérature de voyage dans l’espace arabe et les nouvelles sources archivistiques pour les approches méthodologiques  dans l’écriture de l’histoire des provinces arabes.

Ce quinzième congrès fait partie de la série de rencontres que nous organisons périodiquement depuis 32 ans et dont l’intégralité des travaux a été publiée. Les questions abordées par ces rencontres ont couvert un large champ de problématiques politiques, sociales, économiques et du savoir, en insistant sur l’ottomanisation administrative sérieuse, entreprise depuis la conquête du Bilad al-Sham et de l’Egypte à partir de 1516-1517. Beaucoup d’études publiées dans la revue sont devenues des références sur les provinces arabes, surtout qu’elles s’appuient sur des documents arabes, turcs et européens.

Concernant ce quinzième congrès, de nombreuses études importantes y ont été présentées sur les voyageurs, comme celle du Dr. Fayiz Iskandar sur le texte d’un voyageur allemand au Caire à la fin du XVème siècle. Le chercheur a entrepris d’examiner les sources des voyageurs européens qui ont été ses contemporains et qui ont effectué des visites au Caire à la fin de l’époque mamelouk. Il s’agit d’une étude importante car elle comporte de nombreuses informations importantes sur le dossier. Une autre étude est celle du Dr. Magdi Farah sur les nouvelles de l’expédition française à la lumière de nouveaux documents ottomans. Le chercheur a également traité du rôle des Saint Simoniens dans le Machrek méditerranéen, rôle qui reste, par de nombreux aspects, méconnu. Pour sa part, le Dr. Arnoulet a étudié un voyageur anglais dans les provinces de Tunis et d’Alger au XVIIIème siècle. Il a présenté les recherches sur la biologie et les plantes entreprises par ce voyageur qui a mis l’accent sur le rôle des plantes dans la guérison de certaines maladies de l’époque.

Le chercheur Rahmouna Blil a étudié les voyages algériens vers la France au XVIIème siècle, sujet occulté, et qui peut pourtant fournir d’importantes informations sur les diplomates maghrébins et les voyageurs arabes qui ont visité des espaces européens, américains ou encore du Machrek non musulmans. Un autre chercheur s’est penché sur les informations autour des métiers et de l’industrie dans le Kurdistan ottoman à travers le récit de nombreux voyageurs européens. Le voyage de Tahtawi à Paris reste emblématique de ces descriptions de voyage en Europe pendant le premier tiers du XIXème siècle.

D’autres études, eu sein de ce congrès, ont traité de sujets très divers tels que: la contribution des femmes à l’activité économique; la répartition des marchés et des ateliers à Constantine; l’expédition militaire ottomane sur la Palestine en 1859; la politique britannique envers la question syrienne en 1860; de nouveaux éclairages sur les notables de Jérusalem pendant la période ottomane; un recensement historique des plus importants bâtiments ottomans à Jérusalem; la communauté juive de la ville de Qsar Hlal et son rôle dans l’activité économique au milieu de XIXème siècle.

Un des participants turcs a invité l’assistance à repenser la réécriture de l’histoire des provinces arabes ottomanes en usant de nouvelles méthodologies qui prennent en considération de nombreuses suppositions, thèses et sources différentes qui sont à la disposition des chercheurs aujourd’hui, proposition approuvée par les participants.

Ce qui distingue, à notre sens, les travaux de ce quinzième congrès, est la publication de l’intégralité du dialogue qui a eu lieu entre les participants à la suite de la présentation de leurs travaux. C’est un texte important car il comporte les interrogations, réactions et points de vue des participants face aux questions soulevées. C’est une tradition instaurée par notre Fondation que de publier les dialogues de toutes les questions discutées sur sa tribune, car il s’agit de la pièce centrale de chaque rencontre. Nous avons tenu, dans la majorité des cas, à le traduire en français.

Une dernière remarque qui s’adresse aux chercheurs européens, américains et turcs est celle de leur dire qu’il n’est plus possible aujourd’hui pour un spécialiste de l’histoire des provinces arabes d’ignorer la langue arabe afin de suivre ce volume important de publications et recherches, publié en arabe. Il n’est plus possible, alors que les Arabes maîtrisent les langues européennes et turques pour certains, que les autres chercheurs continuent d’ignorer la production arabe.

De nombreux orientalistes aux XIXème et XXème siècles, des centaines d’orientalistes ont pu suivre l’évolution de la recherche historique arabe grâce à leur connaissance de la langue. Aujourd’hui, il n’en est plus ainsi car le nombre des orientalistes est insuffisant pour suivre la recherche arabe. Je pense que le dialogue académique pourrait s’enrichir si plus de chercheurs européens, américains ou turcs connaissaient la langue arabe.
Notre Fondation et le comité arabe d’études ottomanes invitent toute institution arabe ou étrangère à prendre connaissance des travaux publiés par nous ou par d’autres institutions maghrébines. Malheureusement, les universités et les chercheurs arabes spécialistes de l’époque ottomane ne se tiennent pas informés des études publiées dans le monde sur les provinces arabes. Il en va de même pour les centres de recherche dont ça devrait être la première mission.

Un mot de remerciement à tous les collègues qui ont répondu positivement à notre invitation à participer au congrès et ont enrichi les études ottomanes. Merci également à Nadia Temimi qui a traduit l’intégralité du texte du dialogue comme je remercie Dr. Mohamed Dhifallah d’avoir participé à la dernière lecture des travaux.

Prof. Abdeljelil Temimi   
fondationtemimi@gnet.tn

Abdeljelil Temimi (sous la direction):
Les récits de voyage et les sources inédites sur les provinces arabes à l’époque ottomane, Octobre 2013.
590p; 24 cm. - (Série 1 : Les provinces arabes à l’époque ottomane N° 17)

Tags : Abdeljelil Temimi   Egypte  
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2 Commentaires
Les Commentaires
tounsi - 04-12-2013 00:16

Il faut des moyens financiers pour former des chercheurs arabes à la langue turque pour traduire l'immense fond d 'archive en Turquie.Un spécialiste décédé Yerasimos regrettait cette absence de financement;les mécènes et les riches états pétrolier ou gazierpourrait y contribuer

adel manai - 16-12-2013 19:06

Monsieur Temimi, Je suis historien ayant fait des etudes en Angleterre a la fin des annees 80. J'ai enseigne lhistoire de la Grande Bretagne, qui est ma specialite au 9 Avril (1994-98) ensuite a Ibn Charaf (1998-2013). J'ai organise la premiere conference sur les relations entre l'Afrique du Nord et les pays Anglo-Saxons en 1994 a Beit El Hik;a puis une deuxieme en 1996 a Beit El Hikma aussi. J'ai publie deux livres un sur les voyageurs Britanniques en Tunie 1800-1930 et des articles en Angleterre, au Canada et aux Etats Unis. Aucun historien Tunisien na reagi a ces publications qui portent tous sur la Tunisie. Des sociologies, des Francisants, des etrangers on reagi au livre que j'ai publie sur les voyageurs Britanniques. Votre appel a ce que les Americains, Britanniques et autres s'ouvrent sur la langue Arabe n'a pas de sens a mon sens parce quil faut que les historiens Tunisiens fassent aussi de meme. Adel Manai (Maitrise, Faculte des lettres et Sciences Humaines de Tunis, MA et PhD, Lancaster University, UK) Associate Professor of Modern History Department of Humanities Qatar University POBox 2713 Qatar Email: adel.manai@qu.edu.qa

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