News - 01.12.2013

Vivre à Djedda: Entre rigueurs des traditions et aspirations à la modernité

Vivre à Djedda est pour tout musulman un privilège car l’on est aux portes des deux Lieux Saints les plus sacrés de l’Islam : La Mecque, ville de la Kaaba et de la révélation du Coran, et Médine , la ville qui a accueilli le Prophète Mohamed et où se trouve sa tombe.

Djedda est aussi une ville cosmopolite, une belle cité qui ne manque pas d’atouts même s’ils ne sont pas sciemment utilisés. Elle mérite vraiment son appellation de «Perle de la mer Rouge». Mais la vie comme dans tout le Royaume saoudien n’est pas chose aisée pour un Tunisien habitué à la mixité partout et à la liberté en tout et partout. En effet, les rigueurs de la loi religieuse sont présentes et parfois d’une manière qui ne laisse pas d’étonner.

Développement urbain

Comme partout, le premier souci est de trouver où loger. A Djedda, ce n’est guère difficile. Pour les étrangers, le choix est entre les compounds ou les logements en ville. Les Occidentaux choisissent les premiers car il s’agit d’ensembles de logements, villas ou appartements gardés nuit et jour, parfois bénéficiant de commodités telles que piscines, salles de sport ou plus simplement supérettes. A l’intérieur de ces compounds, les règles strictes de vie telles que la séparation entre les deux sexes ou le port de la abaya noire traditionnelle et la couverture des cheveux pour les femmes sont bannies. Depuis que le terrorisme a frappé à Djedda au début des années 2000, ces compounds sont sévèrement gardés parfois par des militaires en treillis. Les Arabes choisissent, quant à eux,  les logements en ville dont les loyers sont moins onéreux et où la vie est plus facile et nettement plus simple. Avec le développement urbain que connaît la ville, notamment depuis les événements du 11 septembre 2001 qui ont contraint beaucoup de Saoudiens à rapatrier leurs capitaux d’Europe ou d’Amérique de peur de les voir gelés, des immeubles flambant neufs poussent comme des champignons partout,  particulièrement dans la ville neuve au Nord, surtout les quartiers situés à l’ouest de la Route de Médine ; cette voie express qui longe Djedda et la divise en deux ; mais aussi sur la Corniche Nord qui mène vers Obhour, la banlieue balnéaire où se trouvent chalets et petites villas à louer pieds dans l’eau.

Shopping, quand tu nous tiens

Le shopping est l’activité principale de tous ceux et celles qui habitent Djedda. Etant une ville dépourvue de toute activité culturelle et de loisirs nocturnes — il n’y a ni cinémas ni théâtres ni boîtes de nuit — tout le monde se rabat sur les Malls, de grands centres commerciaux qui ont fleuri partout dans la ville. Leur nombre qui se multiplie de façon exponentielle a suivi l’essor urbain de la ville. Au début des années 2000, il n’y en avait qu’un ou deux dont le célèbre Jamjoum situé tout près de la «Nafoura», ce jet d’eau en forme d’encensoir construit en pleine  mer dans la zone de l’ancienne Corniche toute proche du Palais des Hôtes, un hôtel dédié aux invités d’honneur des autorités saoudiennes. Actuellement, ils ont investi la ville du Sud au Nord et d’Est en Ouest. Les plus vastes sont le «Red Sea Mall» et l’ «Arab Mall» et à un degré moindre le «Serafi Mega Mall». Ce dernier se trouve sur les «Champs Elysées» de Djedda, une artère à deux voies dédiée au shopping sous toutes ses formes. Ce boulevard est  connu sous le nom de «Sharii Tahlia». Il est ainsi appelé car au bout sur la mer Rouge se trouvent, comme son nom l’indique, les usines de dessalement de l’eau de mer. En fait, le boulevard porte le nom du Prince Mohamed Ibn Abdelaziz, du nom d’un prince saoudien, un des nombreux fils du fondateur du Royaume saoudien moderne et frère des souverains qui lui ont succédé depuis son décès en 1953, ravi, semble-t-il, à la fleur de l’âge. Mais peu de gens le connaissent sous son nom officiel. Sur ce boulevard, pas moins de sept Malls de différentes tailles, sans compter les boutiques de prêt-à-porter et de chaussures de toutes les marques les plus célèbres dans le monde pour hommes, femmes et enfants ; des joailliers-bijoutiers les plus fameux et des parfumiers les plus connus. Les marques les plus chères de vêtements, de maroquinerie et autres objets de luxe ont aussi leur coin sur ce boulevard. Le shopping a sa particularité à Djedda, c’est qu’il est  essentiellement nocturne, pour des raisons strictement climatiques car il fait trop chaud pendant toute la journée ; même si les magasins ouvrent dès 10 heures du matin et jusqu’à une heure tardive de la nuit. Peu de magasins ferment à la mi-journée. Les Malls ne sont pas des centres dédiés uniquement aux commerces.

S’y trouvent  aussi des restaurants de toutes origines, arabes ou non arabes, pour satisfaire tous les goûts dans une ville où plus d’une centaine de nationalités vivent ; mais aussi des fast-foods des marques les plus célèbres dans le monde; des cafés de toutes les marques et des salons de thé. On y trouve aussi un hypermarché ouvert 24heures/24. Evidemment, ces lieux de restauration respectent la séparation entre les sexes. Un coin est réservé aux hommes seuls et un autre aux « familles » entendez ; une ou plusieurs femmes seule(s)  et un ou plusieurs hommes avec une ou plusieurs femmes. Ici c’est la présence de la femme qui fait la différence. Mais cela n’empêche pas que des cloisons opaques séparent les «familles» dans les zones qui leur sont réservées ; ce qui a fait dire à certains «pourquoi sortir manger si l’on est de toute façon seuls comme chez soi». Dans ces Malls, on ne fait pas que du shopping, on en profite pour siroter un café  ou un thé, casser la croûte et faire des emplettes pour son réfrigérateur.

Al-Balad, la caverne d’Ali Baba

Si dans la plupart des métropoles arabes  la vieille ville s’appelle la médina, celle de Djedda porte le nom d’Al-Balad tout simplement parce qu’il s’agit du village originel avant qu’il ne prenne son expansion urbaine qui date de la deuxième moitié du 20ème siècle après la découverte du pétrole qui lui a bénéficié comme à tout le Royaume saoudite dont elle fut la ville phare,  ayant conservé son statut de capitale diplomatique jusqu’aux années 80 quand les ambassades étrangères furent transférées à Riyad, la capitale politique de la famille saoudienne régnante originaire de Najd, alors que Djedda est située au Hidjaz dont l’émir installé à La Mecque avait sous son autorité, en outre, les deux villes saintes de l’Islam. Al-Balad est célèbre pour ses bâtisses en hauteur avec des portes et des fenêtres en bois sculpté. Ces bâtisses, désertées par leurs habitants qui se sont déplacés au Nord de la ville conquis sur le sable, sont généralement délabrées faute d’entretien et à cause de l’humidité forte dans la cité avec de grosses chaleurs la plupart du temps.

Si les habitants d’Al-Balad se font rares, ce n’est pas le cas des commerces qui restent florissants. En effet, les échoppes  situées dans des ruelles étroites et parfois couvertes sont pleines à craquer de toutes sortes de marchandises. C’est là que les visiteurs et en particulier les Haj (du grand et du petit pèlerinage) trouvent leur bonheur. Ils dénichent dans ces ruelles les souvenirs qu’ils sont venus chercher : bijoux en or, en argent ou de fantaisie, montres, chapelets, encens de toutes sortes, encensoirs, mais aussi pièces d’étoffe, couvertures, sacs, produits  de toilette, que sais-je encore. On y trouve le fameux itr, ce parfum traditionnel vendu dans des bouteilles minuscules, de la gomme à mâcher (loubane), du henné, des huiles essentielles dont celle de vipère(?), du bkhour et jaoui. Naturellement, on y vend des exemplaires du Coran, des livres du Hadith et toutes sortes de bouquins religieux ainsi d’ailleurs que des tapis pour la prière. Al-Balad renferme aussi un souk afghan où sont vendus spécialement des tapis de laine ou de soie de ce pays et des pays limitrophes dont l’Iran, les fameux tapis persans ; ainsi qu’un souk yéménite où on peut trouver le meilleur miel du monde (le miel du sedr connu pour ses vertus aphrodisiaques et thérapeutiques) et déguster les plats traditionnels du Yémen fort appréciés par une grande partie de  la population dont les origines yéménites ne font pas de doute. Ces échoppes pleines à craquer de marchandises de toute nature rappellent la caverne d’Ali Baba tant elles contiennent de tout, des clous jusqu’aux ustensiles de cuisine, les services de porcelaine, ainsi que des produits plus élaborés comme les téléphones mobiles dernier cri ou les ordinateurs portables et autres gadgets et jeux électroniques sophistiqués. Toute une ruelle est dédiée au narguilé, la célèbre chicha, où on peut acheter la pipe d’eau mais aussi toutes sortes de tombac en paquet ou en vrac. C’est que des cafés de chicha sont partout dans la ville. Il y a même ceux où on trouve des filles en abaya traditionnelle fumer avec délectation leur pipe d’eau. 

A l’orée d’Al-Balad se trouve la Place de la Justice où, de temps en temps, on amène les condamnés à mort qu’on fait décapiter en plein jour en présence des passants qui se rassemblent pour assister à l’exécution de la peine capitale. Un de nos compatriotes arrivé à Djedda pour entamer son travail dans une banque a assisté à l’horrible scène alors qu’il venait de prendre possession de son bureau. Intrigué par la foule qui s’était rassemblée sous sa fenêtre, il a vu arriver le condamné et le bourreau qui d’un coup d’épée lui a tranché la tête. Quand le sang a giclé, il est tombé dans les pommes. Il a gardé un souvenir pénible de cette scène qui fort heureusement se répète rarement.

Des Places du «Poing» au «Cheval Blanc» en passant par la «Bicyclette» ou l’«Atome».

Dans Djedda, la ville neuve dessinée  par des géomètres et des urbanistes, il y a, comme partout dans les grandes villes modernes, des places à tout bout de champ. Mais si ailleurs ce sont des places dédiées à de grands noms , hommes politiques célèbres, écrivains, grands médecins ou artistes de renom, avec au milieu de ces places des bustes ou des sculptures de ces hommes ou femmes célèbres,  cela n’est pas le cas à Djedda et dans les autres villes du Royaume où la représentation humaine est prohibée par le wahhabisme. Les places sont des curiosités pour les étrangers. On trouve ainsi la place du «Poing» (el-Gabdha) avec au milieu  la sculpture d’un poing humain fermé. Mais aussi la place du Cheval Blanc, du Bateau, de l’Avion, de l’Atome, du Livre avec au milieu de ces places des représentations en marbre ou en bois de ces animaux et objets ainsi d’ailleurs que de vrais bateaux et un avion inutilisable. Même si la municipalité a donné des noms aux rues, boulevards et avenues, peu de gens les connaissent à l’exception de certains grands axes portant les noms de princes saoudiens dont les palais se trouvent précisément sur ces boulevards. Le plus connu porte le nom du Prince Sultan. Devant son palais, on n’est guère surpris de voir des citoyens saoudiens ou même des expatriés venir qui demander un service, qui solliciter une aide, qui quémander une bourse d’études. Un secrétariat particulier est créé à cet effet. Peu de gens sortent les mains vides et la plupart des demandes sont satisfaites aux frais du Prince lui-même.

Le Haj et la Omra à longueur d’année

Parmi les privilèges des gens habitant Djedda, le fait de pouvoir faire le pèlerinage de La Mecque autant de fois que d’années passées dans la ville. La Omra, le petit pèlerinage, étant ouvert toute l’année. Certains l’effectuent à longueur d’année. Pour ce faire, ils se rendent à La Mecque  toutes les semaines, généralement le vendredi, pour faire aussi la prière au Masjed Haram, la mosquée la plus vénérée par les musulmans. Elle est dite «Haram» car elle, comme toute la ville de La Mecque, est interdite aux non-musulmans. Sur la route longue de 75 km qui relie Djedda à la ville sainte, l’endroit au-delà duquel les non-musulmans ne peuvent aller est d’ailleurs bien indiqué. Selon les historiens, Djedda, au départ un village de pêcheurs construit par des Yéménites, n’a connu son véritable essor qu’après l’avènement de l’Islam il y a quinze siècles. Elle est, en effet, sur la route des caravanes avant de devenir un port d’où arrivent les candidats au pèlerinage par mer ; et enfin un aéroport pour les arrivants par les airs. Car La Mecque se trouve dans un cul-de-sac, dans une cuvette entourée de montagnes et pour y arriver on est obligé de passer par Djedda de quelque endroit que l’on vienne. Les Djeddaouis bénéficient de ce fait du privilège de ne pas passer par un «miqat»  pour mettre les habits blancs non cousus selon la tradition pour les hommes se rendant au pèlerinage ou pour la Omra. Les femmes en sont exemptées. On dit même que des Djeddaouis avaient la possibilité d’effectuer le pèlerinage sans être obligés de passer la nuit à La Mecque ou ses environs comme y étaient contraints les autres musulmans même venant du Hijaz, cette région de la presqu’île arabique renfermant les deux Lieux Saints de l’Islam et dont le chef-lieu est La Mecque. Quant à Médine «Madinat Rasoul Illah» (le Salut d’Allah sur Lui), elle n’est distante que de 400 km de Djedda et les deux villes sont reliées par un réseau autoroutier moderne. Les habitants de Djedda s’y rendent de façon régulière ; certains une fois par mois et le jour du Mouled, l’anniversaire du Prophète (SAL) pour visiter sa Tombe et faire la prière dans le «Masjed  Annabawi» (la Mosquée du Prophète) situé également dans une zone «Haram» interdite aux non musulmans. Ce qui est étonnant, c’est que le Mouled n’est pas un jour férié ni chômé en Arabie Saoudite et qu’il n’est même pas fêté, tout juste quelques entrefilets dans les journaux. C’est que pour les wahhabites, cette fête est une hérésie. Les deux villes saintes sont reliées par «Tariq al-Haramein», la Route des deux Lieux Saints. Actuellement, des travaux sont en cours pour relier Djedda et La Mecque, ainsi que Djedda, La Mecque et Médine par un réseau ferroviaire à grande vitesse. Ces TGV vont faciliter de façon notable le pèlerinage et la Omra ainsi que, d’ailleurs, les déplacements entre ces grandes villes.

La Hai’a, ces muttawas moins visibles

Comme partout, dans le Royaume saoudien, sévit à Djedda la police religieuse, ces muttawas faisant partie de la Hai’a (d’El Amr Bilmarouf wa Nahii ala Munkar-le Comité d’appel à la vertu et d’interdiction du vice). Ces agents,  généralement barbus en civil  accompagnés de policiers en tenue, sont partout pour contraindre les gens à respecter les consignes de la religion selon la vision la plus rigoriste du wahhabisme, une branche du rite hanbalite — l’un des rites du sunnisme —; les trois autres étant le malékite, le hanéfite et le chaféite ayant une lecture plus ouverte de la tradition musulmane. Cette police fait notamment respecter l’obligation faite à la femme de se vêtir de la abaya, cette robe noire ample qu’elle se doit de porter sur ses habits et de se couvrir les cheveux.

Elle est tatillonne sur la séparation entre les deux sexes et entre les hommes seuls et les familles dans les lieux publics, cafés ou restaurants. Elle veille à la fermeture des magasins et de tous les lieux publics pendant les heures de prière et appelle les hommes à rallier les mosquées pour aller prier. Dans cette ville cosmopolite qui se veut la vitrine du Royaume, cette police religieuse est moins visible contrairement aux autres villes, notamment la capitale Riyad. Dans certains Malls, elle est quasiment interdite d’accès. Auparavant, elle n’hésitait pas à détruire les devantures des magasins qui ne voulaient pas obtempérer prestement à leurs sommations de fermer boutique pour la prière. Et c’est à coups de bâtons qu’ils obligeaient les gens à prendre la direction des mosquées. Aux portes des Malls, des vigiles sont placés pour trier les visiteurs.

Ainsi, ils interdisent aux  jeunes hommes ainsi qu’aux adultes jeunes d’y pénétrer alors que ce sont leurs seuls lieux de loisirs. De peur qu’ils ne dérangent les jeunes femmes qui sont autorisées à y accéder même si elles sont seules. C’est d’ailleurs l’un des paradoxes de cette ville. L’autre qui frise la schizophrénie, c’est qu’on trouve à Djedda les objets de la technologie la plus avancée dernier cri, téléphones portables, ordinateurs portatifs, automobiles de toutes les marques flambant neuves, les jeux vidéo et les appareils les plus sophistiqués. Mais en même temps, ils sont contraints de suivre les traditions les plus arriérées et les plus anachroniques concernant surtout les femmes. Celles-ci ont leurs guichets de banques réservées ainsi que des emplois qui leur sont consacrés dans des endroits où elles sont seules. A l’école primaire ou secondaire ainsi qu’à l’université, les jeunes filles ont pour instituteurs et professeurs des femmes uniquement. Elles ne peuvent suivre des cours dispensés par des hommes qu’à travers des écrans de télévision. Les femmes sont interdites de conduire les automobiles. Elles sont les seules dans le monde à être dans cette situation. Ce n’est d’ailleurs pas par la loi. Mais par les traditions qui sont plus rigoureuses. Certaines femmes tentent de temps en temps de passer outre cette interdiction et elles le font savoir à travers des vidéos placées sur les réseaux sociaux, mais elles subissent les affres d’une société qui ne tolère pas qu’elles prennent certaines libertés avec la tradition.

L’automobile, un luxe…Voire

A mon arrivée à Djedda, j’ai choisi d’habiter dans un quartier proche de mon lieu de travail  et où est situé un supermarché pour faire mes courses avec l’idée d’ajourner à plus tard l’acquisition d’une voiture, surtout que je me suis rendu compte que les taxis, on les appelle ici « des limousines », sont nombreux et bon marché. Mais je me suis rendu compte très vite que la voiture est ici indispensable et que ce n’est pas un luxe, loin de là. Pour des raisons objectives. Climatiques d’abord car il fait excessivement chaud, du lever du jour jusqu’au coucher du soleil. Il est parfois impossible de marcher quelques minutes au soleil sans risquer une insolation. Puis on se rend compte très vite qu’aucune facilité n’est donnée aux piétons. Les trottoirs sont exigus et totalement déserts. Puis on risque d’être écrasés par les voitures qui sont dans leur élément dans cette ville. Il faut dire que tout est fait pour que chacun ait sa propre bagnole. Les prix d’abord qui sont, paraît-il, les moins chers du monde puisque l’Etat ne prend aucune taxe, ni droits de douane ni vignette. Puis étant un grand marché, les concessionnaires négocient des prix nettement plus bas  que ce qui se pratique ailleurs. Puis la qualité est garantie puisque des bateaux de voitures ont été refoulés pour un millimètre de tôle. De plus, l’Arabie Saoudite est l’un des pays où l’essence  est la moins chère dans le monde, à l’exception paraît-il des Etats-Unis. Au cours des six ans que j’ai passés à Djedda, le prix de l’essence, au lieu d’augmenter comme partout ailleurs, a baissé deux fois, passant de 75 halalas (0, 75 Riyal- SAR) c’est-à-dire 300 millimes à 60 halalas (0,6 SAR ou 240 mm) puis enfin à 45 halalas (0,45 SAR ou 180mm). Remplir le réservoir de sa voiture, car ici c’est la règle, ne coûte que l’équivalent de 10 dinars tunisiens. Par comparaison, le litre d’eau est beaucoup plus cher puisque la bouteille d’eau potable (pas minérale) de 1,5 litre coûte 1 Riyal (c’est-à-dire 0,65 SAR ou 260 millimes le litre). Toutes les marques de voitures se trouvent à Djedda et dans tout le Royaume depuis les bolides Porsche jusqu’aux Hammer, sans parler des voitures américaines General Motors ou Ford et même indiennes de marque Tata. Pour les européennes, seules les allemandes ont bonne presse. Les françaises et les italiennes sont nettement rares sur les routes saoudiennes. Naturellement, ce sont les japonaises qui tiennent le haut du pavé, notamment la marque Toyota. Il y a ces dernières années, comme partout ailleurs, un engouement particulier pour les voitures tout-terrain 4x4. Comme il est interdit aux femmes de conduire leur propre véhicule, ce sont des chauffeurs de nationalité étrangère, particulièrement des pays de l’Asie du Sud, Philippines et Sri Lanka, qui s’en occupent. Selon les statistiques, cela coûte à la communauté quelque 2 milliards de dollars (3,2 milliards de DT). Dans certains foyers, il y a autant de voitures que de personnes. Les voitures d’occasion sont naturellement nettement moins chères que les neuves. On dit qu’il suffit qu’une voiture quitte le showroom du concessionnaire pour que son prix chute du tiers au moins. Dans le pourtour de Djedda, il y a un endroit appelé «El Harraj» où on trouve des dizaines de milliers de voitures d’occasion à des prix défiant toute concurrence avec des ventes à la criée tous les jours. On y fait de très bonnes affaires pour peu qu’on dispose de l’argent liquide car ici on n’aime guère les chèques. A Djedda, on trouve aussi des voitures avec au compteur 0 km mais qui sont  de millésimes des années précédentes, lesquelles sont vendues pratiquement au tiers de leur prix. Ne vous ai-je pas dit que la voiture est reine.

L’eau, mon doux souci

Dans un pays désertique, l’eau est une denrée précieuse. Autour d’elle tout un monde s’est créé. Des camions-citernes sillonnent la ville à longueur de journée pour amener aux villas comme aux immeubles le liquide indispensable à la vie. Sur tous les toits, des citernes sont installées,  alimentées à partir de ces camions. C’est qu’il n’existe pas dans la ville ni dans le pays d’établissement  de distribution des eaux comme notre SONEDE nationale. Cette eau est impropre à la consommation. Elle sert à l’usage ménager comme laver la vaisselle, le linge ou à l’hygiène de la maison. L’eau potable est celle amenée dans de grandes bouteilles ou vendue en magasin sous forme d’eau propre à la consommation ou minérale. Dans chaque foyer, il y a donc une fontaine fraîche pour la distribution de l’eau. L’eau potable est à portée de toutes les bourses même si elle est plus chère que l’essence sans plomb. Quant à l’eau minérale, la moins chère provient du Liban et de Syrie et coûte entre 1DT et 2 DT la bouteille de 1,5l, alors que celle provenant d’Europe, notamment de France, est vendue jusqu’à l’équivalent de  3,200DT. La distribution de l’eau même par camion-citerne risque d’être coupée de temps en temps et le choix du quartier d’habitation dépend beaucoup des garanties qui sont données quant à l’alimentation régulière en liquide précieux. Ainsi la présence dans le quartier d’une personnalité ou d’un prince fait partie de ces garanties. Autre particularité de la ville,  c’est qu’elle ne dispose pas d’un réseau d’évacuation des eaux usées. Chaque logement ou immeuble est doté d’une fosse septique. Des camions viennent de temps à autre aspirer les eaux usées accumulées. Avec à leur passage des odeurs nauséabondes. Ce n’est que ces dernières années qu’un réseau d’assainissement est en train d’être posé. Mais son installation prend du retard préjudiciable à la propreté et à l’hygiène dans cette grande cité. Les eaux usées sont malheureusement déversées dans la mer Rouge, affectant la faune et la flore très riches  dans cette mer fermée.

Chaleur suffocante… humidité élevée… inondations meurtrières

A part quelques semaines dans l’année, trois ou quatre en janvier- février où la température descend au-dessous de vingt degrés, le reste de l’année, elle dépasse largement les trente degrés. Une chaleur suffocante est ressentie d’autant qu’elle est accompagnée d’une humidité élevée qui frôle les 80% d’eau. Malgré un soleil toujours radieux, le ciel n’est jamais bleu, plutôt incolore comme l’eau diffuse entre ciel et terre. La pluie est rare, mais quand elle tombe elle fait grossir les rivières restées asséchées pendant de longues années et dont les lits sont occupés par des logements dont les propriétaires voient déferler des torrents de boue et les emporter en même temps.  En raison de l’absence de réseau d’évacuation des eaux pluviales, les pluies, généralement diluviennes même si elles sont rares, sont toujours meurtrières. Ainsi en novembre 2009, plus d’une centaine de personnes (le bilan définitif fait état de 116 morts et disparus, 22.000 sans abri, 8.092 maisons endommagées, 7.143 voitures détruites) ont été emportées par les eaux dont de nombreuses personnes mortes emprisonnées dans leurs véhicules emportés par les eaux torrentielles, notamment dans les tunnels ne disposant pas d’évacuation des eaux. Des flaques d’eau devenues de véritables mares ont envahi les quartiers de la ville où le passage était devenu impossible pendant de longues heures, obligeant les habitants à passer la nuit dans des cafés ou des restaurants qui, fort heureusement, sont restés ouverts jusqu’au petit matin. Des centaines de voitures ont été rendues inutilisables. Des compensations financières ont été payées par l’Etat saoudien aux familles ou ayants droit des victimes alors que des voitures neuves ont été offertes à ceux qui ont perdu les leurs.

La «saoudisation», est-ce bien réaliste?

Le Royaume saoudien compte plus de 27 millions d’âmes dont un petit tiers (7,5 millions ) sont des expatriés venant essentiellement des pays asiatiques, le Pakistan, le Bangladesh, les Philippines, l’Inde et le Sri Lanka principalement. Djedda compte un tiers de non-Saoudiens, c’est-à-dire plus d’un million. Ces immigrés font les boulots les plus pénibles, éboueurs, femmes de ménage, maçons, gardiens. Mais malgré la richesse du pays, puisqu’il est le premier exportateur de pétrole dans le monde avec entre 9 et 11 millions de barils par jour, ce qui à 100 dollars le baril  autour de 1 milliard par jour (par comparaison, moins de 20 jours suffisent à financer le budget annuel de la Tunisie), les pauvres ou les familles dans le besoin ne sont pas moins nombreux dans des quartiers dépourvus des commodités autour des grandes villes  dont naturellement Djedda. Par ailleurs, depuis le règne du Roi Fayçal, assassiné en 1975, les écoles, les collèges, les lycées  et les universités sont ouverts devant les Saoudiens des deux sexes. Avec l’avènement du Roi Abdallah en août 2005, plusieurs dizaines de milliers de Saoudiens, jeunes hommes et jeunes filles, sont envoyés aux frais de l’Etat dans les meilleures universités à travers le monde, principalement américaines. De sorte que des milliers de diplômés sont déversés sur le marché du travail chaque année. Devant cette situation, le mot d’ordre depuis quelques années est à la «saoudisation», c’est-à-dire au remplacement des expatriés par des Saoudiens dans différents métiers et fonctions. Le premier secteur investi a été les taxis mais cela s’est révélé un fiasco, puisque les Saoudiennes refusaient de prendre un taxi conduit par un compatriote. Puis les Saoudiens étant des lève-tard, il a fallu plusieurs heures avant de voir les premiers taxis circuler en ville. La décision a été rapportée dans la journée même où elle devait être appliquée.

Néanmoins, cette «saoudisation» touche petit à petit plusieurs secteurs comme l’enseignement primaire et secondaire, les banques, la presse. D’autres secteurs comme les métiers de santé restent néanmoins imperméables à ce mot d’ordre. Le plus difficile serait l’accès au travail des filles et des femmes qui investissent tous les métiers. Car comme partout ailleurs, le sexe faible obtient les meilleurs résultats et les diplômés sont en majorité des filles, alors que la société saoudienne, encore sous la pression des traditions rigoristes, fait plutôt une place étriquée à la gent féminine.

Les Tunisiens fort bien appréciés

La communauté tunisienne en Arabie Saoudite et à Djedda particulièrement est peu nombreuse. Elle ne dépasserait guère le millier dans tout le Royaume dont la majorité se trouve dans la Perle de la mer Rouge. Elles sont en majorité des cadres, des professeurs d’université, des médecins, des fonctionnaires internationaux à l’Organisation de la Conférence islamique (OCI), à la Banque islamique du développement (BID) et à l’Académie internationale du Fikh islamique. Le plus illustre d’entre eux fut l’ancien mufti de la République feu Cheikh Mohamed Habib Belkhodja, fondateur et secrétaire général pendant un quart de siècle de cette Académie, qui avait fait valoir ses droits à la retraite en 2008. Les plus jeunes sont coiffeurs, gérants d’hôtels ou de magasins, directeurs de restaurants, menuisiers. Même s’ils sont minoritaires parmi les expatriés arabes où les Egyptiens, Soudanais, Syriens, Libanais, Palestiniens et Marocains sont nettement plus nombreux, les Tunisiens sont beaucoup appréciés car ils sont connus pour être travailleurs, discrets, ne se mêlant guère de ce qui ne les regarde pas. On se rappelle ici avec nostalgie que les Tunisiens furent les fondateurs des PTT saoudiennes, qu’ils avaient installé le téléphone dans le Royaume et qu’ils avaient géré au mieux la distribution de l’électricité dans tout le pays. C’était dans les années 1970. Les Tunisiens de Djedda sont, comme leurs compatriotes, des gens qui aiment leur pays et s’investissent à fond pour son bien.

C’est ainsi que sous la férule du Professeur Abdelatif Khemakhem, professeur émérite d’économie et de gestion, les cadres tunisiens de Djedda ont formé une association des compétences tunisiennes d’où sont sortis l’actuel ministre du Développement et de la Coopération internationale, M. Lamine Doghri, ancien fonctionnaire international à la BID,  et l’ancien secrétaire d’Etat à la Coopération et à l’Investissement extérieur, M. Alaya Bettaieb, ingénieur en pétrole. Cette association se réunit  régulièrement pour examiner les moyens par lesquels elle peut contribuer à l’essor de la Tunisie et au développement des relations d’affaires entre les deux pays.  Néanmoins, on remarque que dans ce pays où le commerce est roi, les produits tunisiens sont rares. L’harissa est bien appréciée mais on n’en trouve guère. L’huile d’olive vient d’Espagne, d’Italie, de Jordanie ou de Palestine mais rarement de Tunisie. Un magasin de vente de produits tunisiens trouvera certainement sa place dans cette ville cosmopolite. Ce sera une bonne affaire certainement. Point de restaurants tunisiens non plus. Quelques tentatives ont été faites mais n’ont pas été concluantes. Nos frères marocains nous ont devancés avec succès sans parler des Libanais ou des Turcs qui tiennent le haut du pavé.

La capitale estivale

Tous les dignitaires saoudiens ont leur palais à Djedda. Le Roi lui-même dispose d’un palais où il exerce ses fonctions quasiment la moitié de l’année de juillet à octobre lorsque la température avoisine les 45 degrés dans la capitale Riyad, située au beau milieu d’un pays essentiellement désertique.

Le souverain, en sa qualité de «Serviteur des Lieux Saints», un titre que se sont donné le Roi depuis Fahd, le prédécesseur du souverain actuel, se rend à Djedda pour passer les dix derniers jours du mois de Ramadan ainsi que lors de la période du pèlerinage pour officiellement  «veiller à la quiétude des hôtes du Miséricordieux» (dhouiouf Arrahman). Le palais royal s’appelle Assalam. Les autres princes possèdent aussi chacun son propre palais généralement sur la Corniche, au Quartier al-Chatii.

Tous les ministres disposent également de bureaux de fonction à Djedda d’où pendant l’été ils conduisent les affaires de leur département en compagnie de leur cabinet, les autres fonctionnaires restant dans la capitale. Car les Conseils des ministres se tiennent dans la ville côtière tout au long du séjour royal entre ses murs. Par ailleurs même s’il a le titre d’Amir Mekka par respect à la Ville sainte, le plus haut dignitaire de la région, actuellement le Prince Khaled el-Fayçal, fils de l’ancien Roi Fayçal, demi-frère aîné du souverain actuel, a ses bureaux ainsi que son logement de fonction à Djedda. Le Royaume est en effet divisé en huit «imarat» (mot à mot principauté, en fait région présidée par un prince de la famille régnante).

Connu pour être ouvert, le prince actuel, lui-même poète, fait tout pour assurer l’essor culturel de sa ville. Un intérêt particulier est accordé aux arts. N’ayant pu organiser un festival du cinéma pourtant annoncé puis ajourné sine die, il a fini quand même par imposer un festival estival plus varié avec même des concerts de musique, des expositions de tableaux de peinture et de produits de l’artisanat et des récitals de poésie, entre autres.

Ce qui constitue une nouveauté et une véritable gageure au Royaume saoudien. Néanmoins, ce festival se tient à Obhour, la banlieue balnéaire, à 30 km de Djedda. Et pour accéder aux lieux où se tiennent les activités de ce festival, aucune indication ni  lumières tout autour. Pour se préserver des foudres des tenants de l’orthodoxie religieuse intransigeants sur le sujet.

R.B.R.

 

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2 Commentaires
Les Commentaires
fathallah m - 01-12-2013 20:10

La chicha n'est pas autorisee dans les cafes situe's dans la ville mais dans des istirahats ( centres de repos) a l'exterieur de la ville comme d'ailleurs a riyadh. ce serait bien pour nos villes et pour notre jeunesse si on fait la meme chose. Il y a aussi des places au nom des capitales arabes comme a Riyadh.

Ameur - 02-12-2013 08:18

Correction : L’actuel ministre du Développement et de la Coopération internationale, M. Lamine Doghri est un ancien fonctionnaire international à la BID, mais n’a jamais été membre de l’association des compétences tunisiennes à Jeddah et n’a jamais participé dans ses réunions. Néanmoins, il entretenait des bonnes relations d’amitié avec le professeur khamakem le fondateur de cette association depuis les années 80 quand Dr. Hkamekhem était le doyen de la faculté de gestion de Sfax and Mr. Doghri était professeur d’économie à Tunis. Par contre, l’ancien secrétaire d’Etat à la Coopération et à l’Investissement extérieur, M. Alaya Bettaieb était actif dans cette association.

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