Opinions - 08.11.2013

Tocsin d'alarme aux Affaires étrangères

De nouveau, il y a grève aux Affaires étrangères. Mais si les diplomates y jouent en nombre désormais les cassandres, prédisant les plus fâcheuses conséquences pour la politique extérieure de notre pays, ils assurent n'avoir toujours pas la moindre chance d'être entendus.

Sur fond de malaise généralisé à tous les corps exerçant en ce département de souveraineté, ce nouveau coup de tocsin sonnant l'alarme est voulu par le syndicat des agents du ministère, un ultime avertissement avant l'inéluctable catastrophe qui se profile à l'horizon, notre diplomatie ne pouvant tomber plus bas qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Outre l'image ternie du pays à l'extérieur et les intérêts négligés de nos compatriotes expatriés, les droits de bien des agents diplomatiques dans l'Administration centrale sont bafoués, les injustices et les discriminations s'y aggravant de bien criante façon. Ainsi, aux arbitraires anciens hérités du régime de dictature et non encore réparés, se sont ajoutés nombre de nouveaux abus bien surprenants pour un ministère se réclamant de l'esprit de la Révolution.
  
Si les abus passés, pourtant flagrants, n'ont pas encore été tous levés, privant de leurs droits légitimes un certain nombre de diplomates de carrière, d'autres s'y sont ajoutés. Des compétences avérées, dont de vénérables commis de l'État, sont aujourd'hui tenues à l'écart juste pour avoir dignement servi leur pays et son peuple sous la dictature ou au sortir de la Révolution. Au vrai, leur seul tort est que les physionomistes de la troïka ne les ont pas à la bonne, comme si l'État devait s'arrêter de fonctionner sans les affidés de l'équipe au pouvoir, comme si le service de l'intérêt général était l'apanage de celle-ci.

Et on n'arrête pas d'embrigader les services du ministère et de contrôler ses rouages avec des nominations indues, plaçant à la tête des représentations diplomatiques et consulaires des affidés avec la claire mission de travailler le terrain en vue du maintien au pouvoir de ses occupants actuels.

Que l'équipe aux commandes du pays cherche à s'y maintenir n'est pas en soi antidémocratique; c'est de s'y adonner en violation des valeurs et principes démocratiques qui l'est. Or, c'est le cas quand on bafoue les droits à la différence, qu'on cherche à faire taire les voix dont le son discordant, même mélodieux, ne convient pas au conformisme hiératique qu'on veut imposer à tous et par la force.

Cela est d'autant plus affligeant que s'il est un constat que tout un chacun pouvait faire de la Tunisie d'avant la Révolution, c'était la santé de son administration publique. Certes, celle-ci n'était pas épargnée par la corruption et les abus qui gangrenaient tout le pays, mais elle était, dans certains de ses secteurs, la moins atteinte, sinon la plus épargnée.

C'est qu'il y existait, malgré la dictature, des espaces de droit ou de non-droit (si l'on se réfère à la légalité officielle) où des consciences libres, des femmes et hommes de caractère osaient contester à leur niveau le machiavélisme ambiant, contestant la médiocrité généralisée, refusant de se résoudre à la banalisation du mal. Ils le faisaient au risque de leur carrière, de leur vie même. Et en se prémunissant ainsi de l'injustice légalisée, ils donnaient l'exemple du parfait commis de l'État, satisfaisant à la fois leur conscience et préservant l'honneur d'un peuple qui ne méritait pas ses dirigeants.

Ces justes, pour être minoritaires, une poignée, n'avaient pas moins du mérite de contester ainsi, au sein même du système, son essence et sa pratique. Comme ils ne le faisaient qu'à leur niveau, sans chercher une renommée ou des retombées quelconques, sinon le risque permanent de voir leur carrière chahutée, ils étaient tolérés par l'ancien régime dans sa machiavélique vision de la nécessité de soupapes de sûreté afin que système qu'il cadenassait soigneusement n'explosât pas.

Tel était le cas dans nombre de services de nos administrations, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. Parmi eux figurait bien évidemment le service diplomatique dont la dignité était ainsi sauvée par ces francs-tireurs, électrons libres de la Tunisie éternelle.

Bien évidemment, il y eut des sanctions et des représailles, certains de ces héros de l'ombre payant cher leur abnégation à incarner dignement et sans compromission, mais sans ostentation aucune, la réputation du pays à leur niveau et dans leur comportement personnel. C'est cela qui fit que l'on ne pût éteindre la flamme des valeurs ainsi entretenue en pleine obscurité pour finir par préparer le terrain à la Révolution. Or, avec celle-ci arrivèrent les militants de luxe, ceux qui ne s'opposaient à la dictature que de l'extérieur, loin de l'antre de la bête, à l'abri des représailles, dans le confort de l'exil.   

Quand la Révolution eut lieu, on s'attendit à ce que les obscurs militants de l'intérieur fussent honorés pour leur combat sans bruit et même dédommagés, s'étant opposés à la dictature dans le silence et l'humilité au péril de tout, payant cher leur attachement à la dignité. Il n'en fut rien, leur effacement et leur désintérêt des vanités du monde — qui étaient une preuve éclatante de leur sincérité — ayant été mis à profit par tous ceux qui venaient se servir sur le dos du peuple et de ces authentiques militants de l'intérieur.

C'est donc au nom de tous ces bâtisseurs de la République nouvelle qu'est organisée  la grève de nos diplomates. Dans le même temps, elle est un ultime cri d'alarme lancé contre une dérive antidémocratique de plus en plus irrépressible dans notre pays. Que cela vienne d'un corps habituellement féru de discrétion, porté par vocation à la réserve et la retenue, dit bien à quel point la situation est explosive en ce ministère de souveraineté. Cela permet aussi de juger de l'état d'extrême gravité dans les ministères de moindre envergure.
Aussi, il est légitime de se demander jusqu'à quand on doit continuer de tolérer que l'on contraigne ainsi notre diplomatie d'exceller dans cette nouvelle virtuosité consistant à s'adonner au jeu de cassandre. Jusqu'à quand empêcher nos diplomates d'entonner de nouveau l'hymne qu'on arrivait d'entendre de la part de certains d'entre eux, même aux pires moments d'un temps honni; ce chant puisant dans l'essence de notre peuple, marquée d'une farouche et ancestrale volonté de la vie cultivant l'originalité ?  
 
Il est bien temps que la diplomatie tunisienne retrouve tous ses moyens et reprenne, loin des jeux politiciens et des calculs partisans, sa mission de porter bien haut le génie de la Tunisie à l'étranger et de s'y acquitter de son devoir de rendre aux Tunisiens expatriés le service de qualité qu'ils sont en droit d'attendre d'elle.

Farhat Othman

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