News - 27.10.2013

Un livre exceptionnel: le témoignage de Habib Bourguiba Jr

Passionnant ! Tant attendu depuis des années, le témoignage de Habib Bourguiba Jr vient d’être publié. Sa famille, très discrète, a finalement accepté la parution de ses entretiens conduits entre 2002 et 2006, avec Mohamed Kerrou, Professeur de Sciences politiques.
 
L’insistance de l’éditeur Karim Ben Smail (Cérès) aura été payante et la collaboration de la famille, très utle. L’unique fils de Habib Bourguiba, « Junior » ou, pour les intimes Bibi, a accepté de répondre au cours de treize entretiens, aux questions les plus indiscrètes, mais aussi profondes, sur sa famille, c’est à dire, son père, sa mère, ses oncles et ses autres proches, sa jeunesse et ses « années d’exil » en tant que diplomate à Rome, Paris et Washington. Mais aussi, les années soixante en Tunisie, le moment Nouira, entre espérances et adversités et la décennie tronquée des années 80. Le lecteur découvrira  tant de facettes cachées, notamment sur les dernières années de Bourguiba.
 
En bon professeur de Sciences politiques, Mohamed Kerrou ne lâchera pas Bourguiba Jr avant de l’interroger longuement sur Bourguiba, les Juifs, les Arabes et « la bombe de la paix », ou encore sur la question de l’Islam. Prémonitoire comme son père, Bibi « annonce le retour bienveillant du bourguibisme, enfin débarrassé des turpitudes de la cour et de ses ultimes dévoiements. Avec ardeur, il tient à les prévenir contre la tentation de l’islam en politique. Pour lui, comme pour son père, la seule voie salutaire reste celle de la Raison ».

«Orphelin du père, pourtant vivant»

«Orphelin du père, pourtant vivant », Bourguiba Jr fait découvrir au lecteur à travers ce témoignage exceptionnel une relation tout-à-fait particulière entre un père exceptionnel, de la trempe de Bourguiba, souvent pris par son engagement militant lorsqu’il n’était pas en exil ou en prison, et un fils qui, lui aussi, ne manque pas de caractère. Ils ne se sont fait retrouvés, et encore que partiellement, que lors des toutes dernières années du père. Des moments intenses d’affection dont Bibi avait été si longtemps privés. 
 
Ce que le lecteur apprend le plus, c’est le rôle joué par Moufida (Mathilde) Bourguiba dans l’élévation quasiment seule de son fils Bibi pour lui inculquer de nobles valeurs et lui permettre de s’assumer, dans des moments extrêmement difficiles. Son oncle aussi, qui lui a été un second père sera marquant dans son éducation et son éveil aux valeurs. C’est ce qui a forgé son caractère. Bibi assumera tout : l’absence du père, son rôle politique, ses décisions, son divorce d’avec Moufida pour se marier avec Wassila, les dernières turpitudes de la cour et le dernier exil.
 
Assumer, c’est surtout souffrir. S’il a toujours gardé le verbe franc, Bibi a toujours été respectueux. Il ne se gêne jamais de dire  ce qu’il pense, sans jamais rentrer dans les confrontations, basculer dans un clan, s’immiscer dans les intrigues. Un homme exceptionnel qui a vécu tant de grands évènements, qui a beaucoup souffert et qui a tout assumé.
 
Les révélations ne manquent pas dans ce témoignage. Ami de John F. Kennedy, du temps où il était encore sénateur, il sera le premier ambassadeur étranger à lui remettre ses lettres de créance en tant qu’ambassadeur de Tunisie à Washington. Bibi racontera comment le nouveau président américain, le recevant en tête-à-tête, lui demandera de lui expliquer le protocole de la cérémonie officielle. Témoin de l’attentat de Skhirat, il rapportera comme Hassan II avait gardé tout son sang froid et repris la situation en main. Ce qu’il rapporte sur les coulisses de la politique en Tunisie sous Ladgham, Nouira, Mzali, et Sfar, éclaire le lecteur sur le mode de fonctionnement du système, obéré sans doute de l’influence de Wassila, puis de Saida Sassi. Le divorce de Bourguiba d’avec Wassila et le renvoi de Allala Laouiti seront des moments significatifs dans l’enlisement du règne de Bourguiba. La scène du propre renvoi de Bibi est tout-à-fait poignante. Un père qui renvoie son fils unique et dernier conseiller sincère est révélatrice du degré de déchéance de Bourguiba.
 
En plus de 380 pages d’entretiens profonds, sans la moindre recherche du sensationnel ni de comptes à régler, on découvre un autre Bourguiba Jr : un homme très attachant. On peut lui faire beaucoup de reproches,  mais certainement pas celui de la rectitude, de l’abnégation et de l’amour de sa famille et de sa patrie. Les photos, publiées pour la premières fois, ajoutent une note historique supplémentaire. « C’était mon Père » avait titré l’Amiral Philippe de Gaulle ses mémoires. « Notre Histoire » a préféré modestement Bourguiba Jr. Un livre-événement.
 
« Habib Bourguiba Jr,
Notre histoire » 
Entretiens avec Mohamed Kerrou
Cérès Editions, 2013, 380 p. 
 
 
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