Opinions - 15.10.2013

Pour éviter le naufrage de la Tunisie: l'essentiel, c'est l'environnement

A bas le court terme ! Pour  éviter le naufrage du pays: faisons preuve de résilience dans la défense de notre environnement! Oublions les palinodies de ces messieurs du Conseil de la Choura et les théories échafaudées pour expliquer l’absence de M.Ghannouchi à la conférence de presse d’Ennahdha du  lundi  23 septembre 2013.

Traitons par le mépris les élucubrations de M.Ellouze sur le jihad nikah et ses  tragiques retombées et laissons de côté les déclarations absconses – voire futiles – des politiciens.  Rejetons la tyrannie du court terme !

Portons plus loin notre regard vers les perspectives à venir de notre société. Soyons résilients : face aux traumatismes violents que vit le pays, il ne faut pas se laisser couler mais, au contraire, serrer les dents et les dépasser.

L’essentiel, c’est l’environnement

Parlons de l’essentiel. Parlons de notre environnement. Vital et nourricier. Problème capital à l’heure où des écoles sans eau accueillent nos jeunes pousses au Nord-Ouest et à l’heure où on manifeste pour un milieu sain à Ksibet Médiouni et à Borj Chekir. On brûle des pneus et on coupe des routes un peu partout pour réclamer de l’eau potable. Ennahdha et les autres regardent ailleurs, intoxiqués par les rivalités, l’égoïsme et la tentation du pouvoir…alors que «notre Maison brûle»  comme le disait Jacques Chirac, à Johannesburg. Côté environnement, le gouvernement Ali Laarayedh fait profil bas et ne communique guère, trop occupé par ses problèmes de survie. Plus de ministre en charge et silence radio sur la question du gaz de schiste. Ce manque de transparence n’est pas digne de la Révolution. A l’heure où en France le pouvoir annule les deux permis d’exploration du pétrolier texan Schuepbach Energy (en vertu de la loi du 13 juillet 2011 qui interdit la fracturation) sur la base du principe de précaution (L’Humanité, 25 septembre 2013, p. 10), les Tunisiens ont le droit de savoir ce qui se trame  dans le Kairouanais et dans la région d’El Jem. Ces régions n’ont nul besoin d’éprouver des évènements sismiques ni de voir leurs maigres eaux outrageusement polluées par une myriade de produits chimiques dont seul le pétrolier connaît l’identité. Même épaisse obscurité et énorme halo de mystère de la part du ministère de l’Agriculture au sujet de ces pesticides dont on abreuve nos champs et dont certains sont tenus en suspicion là même où on les fabrique. Nulle politique en vue pour libérer l’agriculteur de l’emprise de ces produits toxiques souvent soupçonnés de cancérogénicité, préserver nos eaux de leur contamination, encourager l’agriculture biologique, protéger la santé des ouvriers agricoles et éviter aux Tunisiens la consommation de leurs résidus dans le lait et ses dérivés, la viande, les œufs, les fruits et les légumes. Pourtant, le tonitruant ministre de la chose agricole prétend partout défendre l’intérêt général. Tant qu’il ne s’occupera pas de ces armes chimiques dirigées contre la Nature et que l’on retrouve dans l’assiette du Tunisien, il sera difficile de le prendre au sérieux.

Dans quelques semaines, l’IPPC – cet organisme scientifique (3 000 spécialistes) qui s’occupe du changement climat et auquel font confiance 200 pays – va publier son rapport, le cinquième de sa carrière et le premier depuis 2007. The Financial Times  (23 septembre 2013, p. 4) annonce déjà que, s’agissant de l’eau, le rapport est alarmant dans la mesure où le climat affectera,  dans les 22 ans qui viennent, la ressource de plusieurs millions de personnes de par le monde. Le journal souligne que «la première décennie de ce siècle a été la plus chaude depuis 160 ans.» En Tunisie, face au prix des carburants, aux subventions qu’il engloutit et aux émissions  de gaz carbonique, la politique énergétique  de notre gouvernement est pour le moins timorée et reste enchaînée aux  hydrocarbures fossiles. Le rail, les transports en commun en général  restent les parents pauvres face à l’engouement automobile et ses dégâts. Or, les énergies renouvelables ont pris leur envol dans le monde puisque «4,2 milliards de personnes vivent dans des régions où le prix de ces énergies a chuté au-dessous du prix moyen du réseau électrique», selon Le Monde du 12 septembre 2013 (p. 6). Rachendra Pachauri, le premier responsable de l’IPCC, insiste sur le coût exorbitant de l’inaction en matière de climat. Espérons que notre gouvernement comprendra cette vérité simple lors de la réunion annuelle de l’IPPC sur le climat patronnée par l’ONU, en novembre prochain,  à Varsovie.

Un ministre et…la rage

Déchets envahissants, égouts débordants, pollution industrielle en tout genre, désertification, érosion des côtes et montée des eaux, sécheresse, avancée du désert, déforestation, pollution des plages, circulation aberrante et gaz d’échappement, intoxications alimentaires…les calamités  hélas ne manquent pas. En fait, la crise environnementale s’aggrave dans notre pays. Plus nous retardons la réponse, plus difficile et plus onéreuse   sera la solution.

La rage…Cette maladie qui signe la déchéance de notre milieu et qui ne se rencontre plus guère que dans les pays les plus mal lotis d’Asie et d’Afrique, selon l’OMS,  a fait une nouvelle victime la semaine passée. Au micro d’Express FM, le Dr Abellatif Mekki, lui, est satisfait. Que la rage – et la fièvre du virus West Nile – soit présente dans le pays, cela n’émeut pas outre mesure M. le ministre de la Santé : du temps de Ben Ali, on enregistrait le même nombre de cas,  affirme,  très à l’aise,  ce monsieur. C’était même là son argument principal. Comme si le 14 janvier n’avait pas eu lieu ! Pas de plan d’éradication. Pas de campagne nationale de vaccination pour une maladie toujours mortelle quand les symptômes apparaissent. Pas de politique affirmée pour la suppression des 568.000 chiens errants comptés par M. Mekki, guère ébranlé par les hordes canines du gouvernorat de l’Ariana qui rôdent autour des écoles, de l’hôpital  et    des marchés. M. le ministre se défaussemême 
sur les municipalités alors que le maire de Tunis — qui parle de «fléau» — affirme : «La lutte contre la prolifération des chiens errants doit devenir une priorité nationale» (La Presse de Tunisie, 24 septembre 2013). Dans le monde, la disparition de la rage est due essentiellement à  la vaccination massive des animaux sauvages. Le vaccin est incorporé à des croquettes distribuées par hélicoptère, l’animal  croque l’appât, libérant ainsi le vaccin contenu à l’intérieur. Cependant, la vaccination orale n’est pas efficace chez le chien. Chez nous, la prolifération canine a été boostée notamment par les ordures à tout-va et l’arrêt de l’abattage des chiens errants.  Cette situation appelle un effort national pour effacer ces stigmates indignes de notre pays qui se veut moderne et touristique . Les ministères, les municipalités et les associations de citoyens doivent œuvrer de concert pour contrôler ces populations de chiens vagabonds. M. Mekki devrait se rappeler que de nombreux  pays ont vaincu la rage depuis 1895 et prendre à bras-le-corps cette maladie…pour faire mieux que du temps de Ben Ali ! La Révolution signifie progrès sociétal et investissement en faveur de la santé et de l’école pour faire une meilleure Tunisie, une Tunisie confiante en l’avenir. «Pour éviter que le pays ne coule doucement, comme le Titanic», pour emprunter à  Jacques Attali. Pour cela, il faut arrêter de se morfondre (ou de se délecter,  comme le fait Son Excellence)  et passer résolument à l’action pour préserver notre environnement, ce capital à nul autre pareil. Il faut mettre en place des solutions à long terme pour ne pas pénaliser les générations futures …voire les contraindre à aller ailleurs, là où tout est «ordre et beauté»!

Outre la rage, maintenant dès qu’il pleut, tout le pays est perturbé. A Bizerte, rien n’a changé et les égouts débordent au quart de tour, même avec la plus maigrichonne des ondées. L’entretien des canalisations est un vieux souvenir. Les déchets, les sacs en plastique et les gravats bouchent hermétiquement un réseau qu’aucun entretien n’atteint. L’ONAS dort d’un sommeil profond. La semaine dernière, Sfax, à son tour, a été paralysée par la pluie. Ecoles et facultés ont dû renvoyer les apprenants chez eux, les salles d’opération de l’hôpital universitaire ont été inondées et les transports publics ont disparu, laissant une population désemparée, les pieds dans cinquante centimètres d’eau. Dans le maelstrom que vivait sa ville, M. le président de la délégation spéciale ne conseillait que «la prudence» à ses administrés! Quelle sagesse et quel sens des responsabilités ! A Chorbane, le maire a été «dégagé» du fait des dysfonctionnements enregistrés. Mais qui calculera les pertes encourues par la communauté  nationale de ce fait ?

Là encore, un plan national est nécessaire. Dieu merci, les inondations qui ont ravagé récemment la Chine, l’Australie, les Philippines  ou le Pakistan nous ont épargnés. Nos inondations à nous sont surtout faites par la main de l’homme et sont plutôt la preuve de notre laisser-aller le plus souvent. Il n’en demeure pas moins que «gouverner, c’est prévoir» car «les évènements météorologiques extrêmes liés à la crise climatique sont devenus trop massifs et trop fréquents pour être ignorés.» affirme l’ancien vice-président américain Al Gore (Le Monde 12 septembre 2013, p. 6) qui prévoit  des sécheresses plus intenses et des pluies très fortes à l’avenir pour tout le sud de l’Europe (nous n’en sommes pas loin !) avec des effets particulièrement catastrophiques.

L’environnement, une affaire très politique

Oui, aujourd’hui, la question environnementale est devenue très politique et ne pas en prendre la mesure est gravissime pour l’avenir de ce pays et pour ses dirigeants.

C’est ainsi que la Banque mondiale estime que  la dégradation environnementale (érosion, désertification, mauvaises pratiques agricoles…) coûte annuellement à l’Egypte 5% de son  PIB. Le 9 juillet dernier, l’ancien ministre de l’Agriculture iranien, Issa Kalantari, conseiller du nouveau président Hassan Rouhani a expliqué au journal Ghanoon : «Notre problème principal, celui qui nous menace bien plus dangereusement qu’Israël, l’Amérique ou le combat politique, c’est de vivre ensemble en Iran. Le plateau iranien est en train de devenir inhabitable…La nappe phréatique a baissé et le déficit hydrique est largement répandu,  dans l’indifférence générale, personne n’y pense…. Je me fais beaucoup de soucis pour les générations futures. Si des correctifs ne sont pas adoptés, dans 30 ans, l’Iran sera un pays fantôme. Même s’il pleut sur le désert, il n’y aura pas de récolte car la nappe phréatique  aura disparu et l’eau tombée sur le sol s’évaporera…Tous les lacs de notre pays sont en train de s’assécher…Le désert gagne du terrain en Iran …et les gens vont devoir émigrer. Mais où ? Je peux dire…que sur les 75 millions d’Iraniens, 45 millions vivront dans des conditions incertaines…Si nous commençons aujourd’hui même à nous occuper de ces problèmes, l’équilibre ne sera atteint que dans 12 ou 15 ans.» (Thomas L. Friedman, New York Times, Global Edition, 23 septembre 2013, p. 7).

Pour Friedman, ni l’Egypte ni l’Iran ne peuvent maintenant recourir à la tactique éculée de Hosni Moubarak qui s’adressait aux présidents américains ainsi : «Après moi le déluge, vous avez intérêt à me soutenir car je garantis la stabilité sinon, vous aurez les Frères musulmans.» Aujourd’hui, affirme Karim Sadjadpour, expert en  affaires iraniennes au Carnegie Endowment à New York, «nul ne peut plus dire,  après moi le déluge en Egypte,  car c’est la sécheresse qui pointe et menace la Vallée du Nil.» La révolution syrienne, peu le savent, est venue suite à la pire des sécheresses de l’histoire moderne du pays, sécheresse que le pouvoir a échoué à juguler. Les gouvernements aujourd’hui, dans ces deux pays,  et même ailleurs, ne peuvent plus se contenter d’assurer «l’ordre». Les citoyens veulent plus. Ils exigent un « ordre » qui assure dynamisme et résilience, un ordre basé sur l’Etat de droit, l’innovation, le pluralisme et bien plus de libertés.  Messieurs du gouvernement, penchez-vous d’urgence sur les questions environnementales avec sérieux avant que Mère Nature, excédée et en colère, ne vous contraigne à une meilleure gouvernance! Le temps presse!

M.L.B.

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