Opinions - 04.10.2013

L'ambassadeur d'Allemagne : La Tunisie nous tient à cœur, la Tunisie nous préoccupe

Son discours de célébration de la Fête nationale, est désormais attendu tant l’ambassadeur d’Allemagne à Tunis Jens Plötner est connu par ses messages percutants. Il commencera par dire : «je ne peux pas ne pas parler de la Tunisie. Parce qu’elle nous tient à cœur, et parce qu’elle nous préoccupe. Parce qu’il manque si peu pour accomplir cette phase décisive de votre transition démocratique et parce-que nous sommes inquiets que – si près du but – tout peut basculer ». Devant ses nombreux invités à la réception qu’il a offerte jeudi 3 octobre, en présence notamment du président de l’ANC, Mustapha Ben Jaafar et du chef du gouvernement Ali Laarayedh ainsi que de son prédécesseur Hamadi Jebali, il développera la lecture que fait l’Allemagne de la situation en Tunisie. Avant de conclure : «Le monde vous regarde. Le monde regarde la Tunisie, berceau du Printemps Arabe. Le monde – presque tout le monde – compte sur vous pour réussir la transition démocratique et, pour ainsi démontrer une fois pour toutes ce dont nous sommes convaincus: la démocratie, en Tunisie et dans tout le monde arabe, est le chemin vers l’avenir; Sur ce chemin, vous pouvez compter sur l'amitié et le soutien de l'Allemagne !».

Discours

Il y a à peine deux semaines, les élections ont eu lieu en Allemagne. Demain, des discussions en vue de la formation d’une nouvelle coalition gouvernementale vont débuter – une sorte de Dialogue National à nous… qui s’annonce assez difficile d’ailleurs.

Ce que je peux d'ores et déjà vous dire: peu importe la composition du nouveau gouvernement allemand, notre politique de soutien à la Tunisie démocratique restera un des éléments clé de notre politique étrangère. Et cela, parce que votre révolution a suscité la solidarité de toute l’Allemagne. Et votre chemin vers la dignité, la démocratie et un état de droit trouve un soutien qui dépasse largement les clivages politiques dans mon pays.

Lors de notre Fête Nationale l’année dernière, une personnalité politique éminente de votre pays a commenté mon discours en disant: «Vous avez beaucoup parlé de la Tunisie, et très peu de l’Allemagne.» Tout au long de l’année qui s’est écoulée depuis, j'espérais pouvoir faire autrement cette fois-ci.

Mais aujourd’hui, me voilà à vous avouer: Non, je ne peux pas! Je ne peux pas ne pas parler de la Tunisie. Parce qu’elle nous tient à cœur, et parce qu’elle nous préoccupe. Parce qu’il manque si peu pour accomplir cette phase décisive de votre transition démocratique et parce-que nous sommes inquiets que – si près du but – tout peut basculer.

Une transition démocratique n'est jamais facile, n'est point un long fleuve tranquille. Nous, Allemands, ayant vécu dans la partie Est de notre pays un développement semblable, nous connaissons les difficultés, nous connaissons ces lendemains qui déchantent.

Mais justement, grâce à notre propre expérience, nous mesurons aussi tout ce qui a été accompli par vous, les Tunisiens, durant ces deux ans et demi qui ont suivi le 14 janvier 2011: une constitution presque terminée, basée sur le travail des représentants du peuple librement élus, une culture politique où, malgré des dérapages, on se dispute dans l'Assemblée Nationale, et on ne se bat pas dans les rues. Une nation qui se lève contre l'assassinat politique et refuse d’accepter toute sorte de violence. Une instance provisoire de la justice, avec du retard, certes, mais votée à l'unanimité, et la mise en place des instruments pour consolider le secteur des médias et la liberté de la Presse.

Je sais: beaucoup d'entre vous auraient un «oui, mais...» à ajouter à quasiment tous ces points. C'est la fameuse question du verre à moitié vide ou à moitié plein. Mais n’oublions pas : cette question, la question du succès du Printemps Arabe, porte une dimension historique. Elle sera jugée dans 40 ou 50 ans. Cela étant dit, il est clair aussi que la base de votre avenir se construit aujourd'hui. À chacun de prendre ses responsabilités.

Je ne veux pas vous le cacher: ces derniers mois, nous avons suivi les événements en Tunisie avec une inquiétude grandissante. Une profonde méfiance entre les camps politiques, un manque de considération pour les sensibilités de l’autre, la conviction que le temps jouait en leur faveur de la part d’un trop grand nombre d'acteurs politiques, la tentation, ressentie par certains, de se débarrasser du cadre institutionnel existant.

Tout ça nous semble avoir accentué la crise politique. Une crise qui se déroule sur le fond d'une situation sécuritaire difficile et de grands défis économiques à surmonter. En bref : une situation qui appelle plus que jamais à l'unité nationale et au dépassement des clivages politiques.

Certains se posent la question : Mais où sont passées ces qualités tunisiennes - le dialogue, le compromis, la modération. Dans mes rencontres avec beaucoup de Tunisiennes et Tunisiens j'ai ressenti un réel malaise, un désarroi face à ces développements politiques. Une jeune institutrice de Gafsa, révolutionnaire de la première heure il y a deux ans et demi m’a demandé: « Mais où est passée notre unité, que devient-il, ce peuple du 14 janvier? » Quoi lui répondre ?

Je puise dans l’expérience allemande en disant : Pour voir que le présent n’est pas si mal, et que l’avenir est porteur de promesses, il faut, des fois, se rappeler du passé. Et les Tunisiens se rappellent très bien de ce qui les a révoltés. Ils n’ont pas fait la révolution contre certains désavantages ou quelques inconvénients. Ils ont fait tomber un régime injuste qui violait systématiquement leurs droits. Il y a des milliers de victimes de cette violence. Quelques-unes, vous le savez, sont parmi nous ce soir.

J’ose espérer que personne, ici et dans le monde, souhaite le retour de ces jours-là. La démocratie en est la meilleure protection. Nous, Allemands, le savons de notre propre histoire.

Rien n’est plus frustrant pour l’être humain que des attentes déçues. Pour beaucoup de mes interlocuteurs, le Dialogue Nationale est en quelque sorte le rendez-vous de la dernière chance. J'espère qu’il se montrera digne des espoirs de la jeune femme de Gafsa  et de tous les Tunisiens et Tunisiennes.

Le monde vous regarde. Le monde regarde la Tunisie, berceau du Printemps Arabe. Le monde – presque tout le monde – compte sur vous pour réussir la transition démocratique et, pour ainsi démontrer une fois pour toutes ce dont nous sommes convaincus: la démocratie, en Tunisie et dans tout le monde arabe, est le chemin vers l’avenir.

Sur ce chemin, vous pouvez compter sur l'amitié et le soutien de l'Allemagne!
 

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