Opinions - 29.09.2013

Radhi Meddeb: La divine surprise ou la voie de la sagesse

Nous assistons depuis plusieurs semaines à un jeu, s'il n'était pas dangereux aurait été puéril et enfantin. Depuis l'assassinat de Chokri Belaid, le pays vit dans un profond malaise que la lenteur et les multiples diversions des constituants ont entretenu, que les événements de Chaambi ont renforcé et auquel l'approfondissement de la crise économique a apporté une couche supplémentaire de grisaille. Le lâche assassinat de Mohamed Brahmi, perpétré le jour même de la fête de la République a été la goutte qui a fait déborder le vase du ras le bol national.

Depuis, le pays a plongé dans une profonde crise politique et institutionnelle, opposant deux camps, aussi sûrs l'un que l'autre de leur bon droit et de la légitimité de leur positionnement, versant dans l'excès et refusant le dialogue et le compromis. Aux propositions initiales ou amendées des organisations nationales assurant le pilotage du dialogue entre Troïka d'un côté et front du salut de l'autre, les deux protagonistes soufflent le chaud et le froid, assurent adhérer aux initiatives du Quartet pour, tout de suite après, les soumettre à diverses conditions les vidant immédiatement de toute substance. Ce jeu relève éminemment de la tactique. Il semble manquer sérieusement de vision stratégique.

Les intérêts partisans, les égos démesurés, les calculs de chapelles et les agendas personnels sont au cœur des fausses et des vraies négociations. Seule la Tunisie est absente et l'intérêt général est resté au placard.
Pendant ce temps là, la confiance s'érode, les investisseurs internationaux se détournent ou quittent le territoire, ceux locaux s'internationalisent et investissent ailleurs, l'inflation caracole, le chômage s'approfondit, mais aussi le double déficit budgétaire et de la balance des paiements, la caisse générale de compensation explose, les régions intérieures se marginalisent encore plus et le peuple n'en finit pas de souffrir.

La sortie de ce tourbillon infernal exige des concessions des uns et des autres. Le compromis passe par là et le salut du pays aussi. Ce dernier ne viendra pas de l'extérieur. "Les gens de la Mecque sont mieux à même de connaître ses méandres".

Et comme on ne prête qu'aux riches, il revient à Ennahdha de prendre l'initiative, de rendre publics les arbitrages qui semblent avoir déjà été conclus en matière de Constitution, avec un renforcement des libertés, une formulation consensuelle de l'article 141, de vraies nouvelles dispositions transitoires et l'acceptation de confier le projet de Constitution à un groupe d'experts pour l'expurger de toutes les ambiguïtés potentielles et lui conférer la clarté et la modernité qu'exigent l'histoire et l'ouverture de la Tunisie.

Il revient également à Ennahdha et à son chef d'assumer la situation historique, d'acter la démission du Gouvernement et de mettre en place les conditions d'une transition démocratique sereine et rapide. Dans toute démocratie qui se respecte, l'incapacité d'un gouvernement à assurer la protection physique de ses populations et plus particulièrement d'un élu du peuple, entraîne de facto sa démission. La situation est encore plus flagrante en Tunisie avec l'avertissement préalable de la CIA et l'absence de toute mesure préventive qui aurait pu éviter le pire. Face à une telle situation, le gouvernement était au mieux incompétent, au pire complice. La démocratie exige qu'il parte, indépendamment de ses réussites ou de ses échecs sur tous les autres plans. La transparence et la sauvegarde des institutions exigent que cela se fasse vite.

Il revient a Ennahdha et à son chef de faire la preuve que leur parti a fait sa mue sur la voie de la démocratie, qu'il accepte les règles du jeu en toute transparence et en toute responsabilité. Quelle leçon Ennahdha donnerait alors aux tunisiens et au reste du monde.

Mais la responsabilité de sortie du bourbier actuel n'incombe pas qu'à la seule Ennahdha ni à même à la Troïka réunie. L'opposition a la partie belle d'exiger la démission du gouvernement sans garantie ni contrepartie. L'expérience montre que pour qu'une négociation ait des chances d'aboutir, une partie ne doit jamais acculer l'autre à l'humiliation ou au désespoir. Ennahdha ne quittera pas l'exécutif si elle ne dispose pas de garanties fortes qu'elle n'en sera pas définitivement exclue, que des mesures de rétorsion ne seront pas mises en œuvre à son encontre, bref que le syndrome égyptien ne scellera pas son sort. Elle n'acceptera pas non plus d'être la seule composante de la Troïka à quitter le pouvoir, alors qu'elle en est la colonne vertébrale. La responsabilité est donc aussi celle de l'opposition qui devra permettre une sortie négociée et honorable pour tous.
Ce serait là, une divine surprise que nous réserveraient les deux principales parties au débat.

Radhi Meddeb
 

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