Opinions - 25.08.2013

Slim Chaker: Feuille de route pour un futur Gouvernement de Technocrates

La Tunisie souffre depuis plusieurs mois. Elle souffre politiquement, économiquement et socialement.

Politiquement le pays est en crise. L’une des plus sérieuses qu’il ait jamais connue. Manifestations de soutien et contre-manifestations de contestation se succèdent à un rythme rapide. Près d’un tiers des élus du 23 octobre 2011 sont en sit-in ouvert depuis un mois. Les travaux de l’ANC sont suspendus depuis 15 jours. La menace terroriste est devenue réalité. Elle frappe sans pitié nos élus, nos politiciens, nos vaillants soldats. Les politiciens tergiversent à n’en plus finir. L’opposition pointe du doigt la main mise par le parti au pouvoir sur l’appareil de l’Etat. Elle crie à l’échec, à la fin de la légitimité. Le pouvoir en place joue la montre, gagne du temps, négocie, cherche désespérément une voie de sortie. La Tunisie est scindée en deux, idéologiquement et politiquement.
 
Economiquement, la Tunisie est au plus bas. Les agences de notation n’en finissent pas de dégrader nos notes souveraines. La communauté internationale est passée aux sanctions. Les portes des bailleurs de fonds nous sont désormais fermées. 
 
L’investissement et l’exportation, deux des trois moteurs de la croissance, sont à l’arrêt ; ou presque. Le troisième moteur, celui de la consommation, continue à tourner tant bien que mal. Il continue à générer un minimum de croissance. Mais c’est une croissance faible. A peine 3% au premier semestre 2013. Loin des 4,5% prévus par le Gouvernement. C’est une croissance fragile, génératrice d’inflation, de déficit commercial, de déséquilibres économiques.
 
La saison agricole est médiocre. La saison touristique moyenne. L’arrière saison est en danger. Les exportations de phosphate ne redémarrent pas. L’inflation s’incruste durablement. Le dinar glisse dangereusement. Les PME peinent à financer leurs importations de matières premières, à faire face à leurs engagements envers leurs clients, leurs créanciers, leurs salariés, leurs actionnaires. Cent cinquante entreprises étrangères ont fermé leurs portes au cours des derniers mois laissant sur le carreau des milliers de familles tunisiennes. D’autres s’apprêteraient à le faire désespérées qu’elles sont par le climat d’instabilité et d’insécurité qui prévaut dans notre pays. 
 
Le Gouvernement a du mal à faire face à la situation. Les chiffres sont confus, alarmants. Les déficits explosent : caisse de compensation, caisses de retraites, déficit des entreprises publiques, dette extérieure, balance commerciale, budget de l’Etat. Cinq milliards de dinars de déficits supplémentaires seraient prévus pour 2013. Seuls 24% des investissements publics pour 2013 sont réalisés. Le budget de l’Etat pour 2014 n’est toujours pas bouclé. Le navire Tunisie tangue dangereusement au milieu de la tempête. Il risque de couler d’un moment à l’autre.
 
Socialement le Tunisien est fatigué, déprimé. Le père de famille, la mère de famille sont inquiets pour leurs enfants, leur rentrée scolaire, leur sécurité, bref leur avenir. La classe moyenne n’arrive plus à joindre les deux bouts. La vie devient chère, très chère. Viande, fruits, tomate concentrée deviennent inaccessibles au citoyen moyen.
 
Les jeunes sont mécontents, frustrés. Rien n’a changé pour eux. Ils n’ont pas eu les emplois promis au cours de la campagne électorale. Le chômage reste élevé. Celui des diplômés de l’enseignement supérieur en particulier. L’avenir est sombre. Les canaux de communication entre les générations sont de nouveau coupés. Les jeunes pensent que les politiciens ont fait un hold-up sur la révolution, leur révolution. Ils ne comprennent rien à leur mal de vivre, à leur misère, à leur désespoir. Les jeunes veulent vivre, se remettre à rêver. Hélas, les lendemains qui déchantent sont là ! La colère gronde à nouveau. 
 
Face à ce constat, un futur Gouvernement de Technocrates n’aura pas la tâche facile. Les problèmes sont immenses. Les désillusions sont grandes. Les inquiétudes et les attentes aussi. Il devra travailler dans la transparence absolue, dans une neutralité parfaite, à égale distance de tous les partis politiques. Il devra avoir un mandat précis, limité dans la durée, des objectifs réalistes, une feuille de route claire. Cette feuille de route pourrait s’articuler autour des 10 axes suivants :
 
1. Rétablir l’ordre et la sécurité, lutter contre le terrorisme pour rétablir la confiance, freiner la fermeture d’usines et préserver les emplois qui existent.
 
2. Rétablir la stabilité, le calme social pour arrêter l’effritement de l’image de la Tunisie, favoriser une relance rapide et à très court terme de la production, des exportations et du tourisme.
 
3. Aider les PME à faire face aux problèmes et aux difficultés conjoncturelles dans lesquelles elles se débattent, pour leur permettre de résister à la crise et honorer leurs engagements.
 
4. Réaliser et/ou accélérer les investissements publics dans les régions intérieurs du pays. Ces investissements ont été prévus par les Budgets de l’Etat successifs mais leur taux de réalisation est resté très faible. La réalisation de ces investissements permettra de créer une dynamique économique au niveau des régions notamment les moins nanties d’entre elles.
 
5. Restaurer la crédibilité de l’Etat en vue d’arrêter la dégradation des notes souveraines de la Tunisie, réinstaurer le dialogue et la coopération avec la communauté économique internationale et les bailleurs de fonds internationaux.
 
6. Lutter contre la cherté de la vie, juguler l’inflation, freiner la chute du dinar par rapport à l’euro et au dollar.
 
7. Etablir un diagnostic neutre de la situation économique du pays. Communiquer des données et des études précises relatives à la croissance, l’inflation, la création d’emplois, le taux de chômage, les exportations, le tourisme, la balance des paiements, le déficit budgétaire, … Cela permettra aux partis politiques de préparer sérieusement leurs programmes économiques et sociaux en vue des prochaines élections. 
 
8. Apurer ce qui peut l’être an niveau des dossiers économiques et sociaux pour  préparer le terrain au futur gouvernement élu et mettre en place les conditions adéquates en vue de permettre une mise en place rapide d’un plan de relance d’urgence juste après les élections.
 
9. Revoir les nominations à la tête de l’Etat (Gouverneurs, Délégués, PDG, Directeurs Généraux, Conseillers Municipaux, …). Mettre en place des critères de nomination précis basés sur la compétence, l’expérience, l’intégrité morale. Garantir la neutralité de l’Administration centrale et régionale au cours des prochaines élections.
 
10. Prêter main forte à la future ISIE et coopérer étroitement avec ses responsables en vue de lui permettre d’organiser les élections dans les meilleures conditions. Favoriser un passage de pouvoir démocratique et pacifique au gouvernement qui aura été élu.
 
Ce programme pourrait paraître ambitieux vu l’état actuel des choses. Il n’en demeure pas moins nécessaire. Il faudrait que nos compétences nationales, et il y en a, puissent trouver le moyen de mettre tout ceci en marche.
 
Il n’en demeure pas moins que les solutions économiques à la situation actuelle sont avant tout politiques. Ordre, sécurité, stabilité, crédibilité, confiance, visibilité, transparence sont les ingrédients miracles de la potion magique que tout Tunisien attend. Espérons, que notre futur Gouvernement, quel qu’il soit, saura concocter à temps le remède miracle salvateur.
 
Slim Chaker
Ingénieur Statisticien Economiste