Success Story - 13.08.2013

Héla Cheikhrouhou: Le défi de lancer le Fonds vert pour le climat

Elle aura à assurer le démarrage effectif, à partir du nouveau siège près de Séoul, en Corée du Sud, du Fonds vert pour le climat (Green Climate Fund, CGF) devant gérer une bonne partie des 100 milliards de dollars annuels pour aider les pays en développement à s’adapter aux changements climatiques. Tout est à faire pour Héla Cheikhrouhou qui vient d’être choisie, à l’issue d’une sélection serrée, directrice exécutive du CGF. Du haut de la tour iTower qui donne, au cœur de Sangdo, sur la baie d’Incheon, où elle établira ses quartiers généraux, elle devra faire preuve rapidement d’efficacité. Comme elle en a toujours fait montre à la Citibank, en Tunisie et au Maroc, à la Banque mondiale, à Washington, couvrant l’Amérique Latine et, depuis six ans, à la BAD. Un parcours exceptionnel.

Pour mieux comprendre l’importance de cette nomination, un flashback sur le CGF est utile. Lancé en 2010 lors de la 16e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), tenue à Cancún (Mexique), le Fonds  est né officiellement en 2011 lors de la conférence sur le climat de Durban, en Afrique du Sud. Objectif : aider les pays en développement particulièrement vulnérables aux changements climatiques à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre et à s’adapter aux effets du changement climatique. La communauté internationale a promis d’y contribuer progressivement jusqu’à atteindre 100 milliards de dollars par an à l’horizon 2020. Bref, ce fonds qui réunit près de 200 Etats membres sera en quelque sorte la banque mondiale du climat.

La gouvernance repose notamment sur un conseil d’administration, formé de 24 membres à parité entre représentants des pays développés et de pays émergents et en développement. Il est coprésidé, avec une rotation annuelle, par deux représentants de chacun des groupes du Nord et du Sud. Première décision à prendre, le choix du pays qui accueillera le siège du fonds. Sur six pays candidats enthousiastes, à savoir la Suisse, l’Allemagne, le Mexique, la Namibie, la Pologne et la Corée du Sud, c’est cette dernière qui l’a emporté, au grand bonheur de l’Asie.

Une Africaine à la tête du Fonds : c’est bon pour l’Afrique et pour la BAD

Deuxième décision, la désignation d’un directeur exécutif. L’appel à candidatures lancé et confié à des chasseurs de  têtes a fini par mettre en lice, dans l’ultime finale, trois candidats : un entrepreneur ancien parlementaire hollandais, un conseiller à la BID ancien vice-ministre colombien et la Tunisienne Héla Cheikhrouhou, directrice du département Energie, Environnement et Changement climatique à la Banque africaine de développement (BAD). Verdict fin juin dernier, après les auditions et de larges débats internes : la Tunisienne l’a emporté. «En fait, je n’y avais pratiquement pas lobbyé, confie-t-elle à Leaders. Mais, le soutien du président de la BAD, Dr Donald Kaberuka, m’a été fort précieux. Il m’a beaucoup aidée. Il a immédiatement compris que la présence d’une Africaine à la tête de l’exécutif de ce fonds est une bonne chose pour s’assurer que l’Afrique ne sera pas oubliée ». La BAD aussi, sans doute.
Au septième étage de cet immeuble de la BAD, Héla Cheikrouhou promène un regard ému sur le centre-ville de la capitale et affectueux sur son équipe forte d’une soixantaine de gros calibres. Dans un mois, elle doit les quitter pour partir s’installer en Corée du Sud. Son bureau est simple, doté d’un ordinateur et d’un fax-scanner-photocopieur. Mais, avec ces seuls outils, et tout son savoir-faire, elle a créé, sous l’impulsion de Kaberuka, un véritable département chargé de l’énergie, de l’environnement et du changement climatique, constitué une équipe de choc et accompli de réelles réussites. Tout récemment en Tanzanie, lors de la tournée africaine pour lancer son fameux projet Power Africa, le président américain Barack Obama n’a cité de toutes les institutions internationales que la BAD. Présente à Dar Essalam, lors de ce discours, Héla y a vu un bel hommage à l’engagement de la Banque dans ce domaine. Partir quand tout est en place et que ça tourne, laisse sans doute un pincement au cœur auquel Héla devient habituée.

Elle se voyait enseignante…

Enfant, elle jouait à la maîtresse d’école. Ses deux sœurs voulaient faire médecine et ont réalisé leur ambition, alors que Héla se croyait destinée à l’enseignement. Le père, ingénieur pétrolier, directeur à la Sitep, laissait s’épanouir les vocations, gardant l’œil avec la maman sur la réussite scolaire. Avec brio, elle décrochera son bac au Lycée d’El Menzah 6, puis sera major de sa promotion à la sortie de l’IHEC Tunis, en 1994. Du coup, une bourse de l’ACDI lui est offerte pour préparer un mastère au Canada. Cap alors sur HEC Montréal où elle obtiendra en 1996 son mastère en finance. «Je comptais préparer un doctorat, dit Héla Cheikhrouhou à Leaders, mais me voilà séduite par un poste à la Citibank Tunis en plein développement. Retrouver le pays et la famille tout en travaillant dans l’une des plus grandes banques au monde, difficile d’y résister».

Elle y fera alors ses premières armes et une fois bien rompue aux ficelles du métier, la voilà affectée au Maroc promue trésorière et deviendra vice-présidente pour la gestion des risque des marchés financiers en Afrique du Nord. Son séjour à Casablanca sera aussi intensif qu’agréable. Elle mettra à profit le peu de temps qu’elle pouvait s’offrir pour apprendre l’espagnol, une langue qui lui sera utile comme on le saura plus tard. Sept ans se seront écoulés à la Citibank, et une nouvelle opportunité s’offre à Héla. La Banque mondiale lui propose de rejoindre au siège à Washington DC ses équipes en charge du développement du secteur financier pour la promotion du secteur privé en Amérique Latine. Ça tombe à pic, la connaissance de l’Espagnol en plus. Quatre ans durant, elle s’emploiera à l’amélioration de l’accès des entreprises privées dans la région aux marchés financiers. Une expérience enrichissante et inoubliable.

De grands défis au sein de la BAD

Tunis est à nouveau à l’horizon. Prenant les destinées de la BAD, le président Kaberuka a introduit des changements structurels prometteurs et lancé le recrutement de spécialistes dans divers domaines de pointe, utiles pour l’Afrique. Une fois de plus, Héla Cheikhrouhou n’a pas résisté à l’appel de Tunis et de la BAD, une institution en pleine restructuration qui se donne de grands défis à lever et s’y emploie. Elle sera directrice de la Division des infrastructures au sein du département du Secteur privé, avant d’être promue en 2010  directrice du département de l’Energie, Environnement et Changement climatique. «Elle est responsable de la croissance significative du financement de projets dans les domaines de l’énergie, du transport et des TIC», consigne la BAD dans ses registres.
«Avec le recul, confie-t-elle, je me rends compte que c’était le bon choix à faire, encore une fois. Même si la Banque mondiale et Washington DC me manquent. A la BAD, par rapport à la Banque mondiale, c’est plus compact, on a une plus grande marge de manœuvre, le président nous assure de son plein soutien et j’ai eu la chance  de travailler avec deux vice-présidents exceptionnels. Cela facilite notre tâche et nous laisse plus proches du client, toujours à son écoute».

Son bilan est effectivement bien positif. En s’occupant du financement de l’infrastructure, elle a non seulement accru le nombre de projets financés et le volume des crédits accordés, mais aussi et surtout la capacité de la Banque à gérer avec succès pareils projets et servir d’effet levier pour mobiliser les ressources complémentaires. Puis, créant le nouveau département dédié à l’énergie, l’environnement et au changement climatique, elle a su le mettre en œuvre et l’opérationnaliser, générant plus de 3 milliards de dollars de nouvelles approbations, pour un portefeuille actif de 8 milliards de dollars.

Objectif : réussir !

Tout cela est réconfortant pour Héla Cheikhrouhou qui garde toujours une grande humilité. Son esprit est maintenant ailleurs: dans le quartier des affaires international de Songdo en plein essor, dans la ville d’Incheon, son nouveau point de chute.

Elle y était tout récemment pour l’ultime audition avant d’être officiellement nommée et la première impression qu’elle en retire est positive : un pays magnifique en pleine croissance et à 60 km à l’Ouest de la capitale Séoul, et cette ville d’Incheon en fulgurante ascension.

Véritable plaque tournante pour l’Asie du Nord-Est, avec ses ports et aéroports, elle abrite le siège de nombre d’organisations régionales et internationales et s’apprête à accueillir en 2014 les 17es Jeux asiatiques. Sa grande fierté désormais, c’est d’abriter le premier siège d’un organisme mondial, le Fonds vert pour le climat. Sans se départir de sa sérénité habituelle, Héla est déjà en mode Fonds et Songdo où tout est à faire, tout l’attend.
 
«C’est là une grande opportunité, dit-elle, positive comme elle l’est toujours. Construire à partir de zéro, avec l’appui des instances, sélectionner les talents nécessaires et former les équipes, mettre en place les bonnes procédures sur des règles équitables et susciter d’emblée une forte mobilisation pour lever les grands défis posés : c’est une rare chance qui peut s’offrir et qu’on doit saisir. Mais il y a aussi le défi de la mobilisation des ressources et de leur emploi judicieux».  Très rapidement, Héla doit cette fois aussi faire preuve de sa performance, son mandat n’est que de 3 ans, renouvelable une seule fois. Pas une minute à perdre alors. Heureusement que son mari, Dr Abid, médecin, l’accompagnera dans cette nouvelle aventure.
 

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