Opinions - 07.06.2013

Un pouvoir exécutif à deux têtes: La confusion au sommet de l'Etat

 Le 30 janvier 2011, soit seize jours après la victoire de la Révolution, j'écrivais qu’il fallait «abolir le régime présidentiel». Rares sont aujourd’hui les défenseurs de ce régime qui a gouverné le pays durant plus d’un demi-siècle avec un bilan politique désastreux. Mais nombreux sont ceux qui veulent le perpétuer en le «combinant» avec le régime parlementaire. D’où les discussions qui durent depuis longtemps sur le «partage» du pouvoir entre le «président» élu au suffrage universel et le chef du gouvernement responsable devant le Parlement. Ce «partage» n’est pas possible et il est de nature à installer la confusion au sommet de l’Etat, confusion constatée depuis les élections du 23 octobre 2011, que ce soit à propos de la Banque Centrale ou de la Libye.

La confusion ne pourra que s’aggraver si demain, on garde l’essentiel du régime présidentiel, qui est l’élection du chef de l’Etat au suffrage universel tout en constituant un gouvernement investi par le Parlement et pouvant être considéré par ce dernier comme le veut le régime parlementaire. Cette combinaison des deux régimes politiques n’est pas possible. En effet, les deux fonctions, celle de chef de l’Etat et celle de chef du gouvernement répondent à des nécessités différentes d’un gouvernement «rationnel». Ce n’est pas une simple question de répartition des attributions entre les deux personnages. L’existence des deux fonctions répond à deux questions différentes, celle de l’Etat et celle du gouvernement. Celle de l’Etat est incompatible avec la gestion des affaires courantes.

Il y a une permanence de l’Etat qu’il faut sauvegarder quelles que soient les péripéties de l’évolution des évènements de la gestion gouvernementale. Le rôle du chef de l’Etat est en effet de symboliser l’unité nationale, de veiller au respect de la constitution et de la loi et de servir d’arbitre et de conciliateur. Pour ce faire, il ne doit pas être mêlé aux vicissitudes quotidiennes de l’action politique pour ne pas perdre son crédit et se discréditer en devenant partisan. Il doit rester au-dessus des différents partis et organismes engagés. Il ne doit pas avoir des « pouvoirs » de gestion ni en matière sécuritaire ou diplomatique ni de défense pour pouvoir précisément intervenir dans ces différents domaines comme dans tous les autres, pour dire son mot, éviter un conflit ou résoudre une crise, bénéficiant de la confiance de toutes les parties concernées.

C’est parce qu'il n'a pas de «pouvoirs», comme certains le déplorent, qu’il parvient à avoir le pouvoir moral de l’arbitre suprême et du dernier recours. Et c’est ainsi qu’il peut assurer la stabilité et la permanence de l’Etat. Si les deux responsables au sommet, chef de l’Etat et chef du gouvernement, s’agitent en même temps et se disputent les «pouvoirs», on crée des confusions au sommet de l’Etat.

Il découle de ce rôle du chef de l’Etat qu’il ne nécessite pas et interdit même son élection au suffrage universel. Cette élection ne peut qu’en faire un partisan, ayant nécessairement des alliés et des adversaires, ce qui ne l’habilite guère à son rôle de symbole, d’arbitre et de recours pouvant être entendu par les diverses fractions de l’opposition. Il suffit donc qu’il soit désigné par le Parlement à une majorité qualifiée des deux tiers ou des trois quarts. Il est révoqué de la même façon en cas de faute lourde ou de forfaiture.

Le suffrage universel est censé être plus démocratique mais il ne peut que doter le pays d’un président incontrôlable. Qui peut défaire ce qu’a fait le suffrage universel ? Et c’est ainsi qu’on installe l’irresponsabilité au sommet de l’Etat. N’étant pas contrôlés dans leur action, les deux premiers chefs de l’Etat ont été victimes de leur autoritarisme et de leur irresponsabilité. Il suffit que le chef de l’Etat soit élu au suffrage universel pour que le Parlement et le gouvernement ne jouent plus qu’un rôle d’auxiliaires du président.

L’exemple du «mixage» entre système présidentiel et régime parlementaire fonctionne en France depuis l’institution de la cinquième République. De Gaulle a fini par se disputer avec son Premier ministre. Ce dernier lui a succédé et a fait de même. Arrive Mitterrand à l’Elysée où il a pu gouverner tant qu’il avait la majorité au Parlement, le Premier ministre devenant en fait son « secrétaire ». Il devient  le chef de «l’opposition» installée à l’Elysée s’il n’a plus cette majorité et c’est le Premier ministre du clan opposé qui devient le gouvernant effectif. Le même scénario s’est reproduit avec Chirac et Jospin jusqu’à l’unification à 5 ans des deux mandats, celui du Parlement et celui du président, lequel bénéficiait d’une durée de 7 ans. C’est sous ce régime qu’a été élu le président acutel, Hollande, avec une majorité «présidentielle» au Parlement. Du coup, on n’entend presque plus parler d’un gouvernement français réduit à l’état d’un secrétariat du président. L’exemple français révèle donc l’absurdité de toute combinaison, de tout mixage entre le régime présidentiel et le régime parlementaire. La Tunisie a vécu le régime présidentiel durant plus d’un demi-siècle et on en connaît les défauts. Un régime parlementaire authentique permet d’installer un président avec le rôle qu’on vient d’indiquer et un Parlement et un gouvernement pouvant être réellement efficaces.

Le suffrage universel devient logique pour étirer un parlement comprenant des centaines de députés, évitant ainsi la personnalisation du pouvoir et la menace de l’autoritarisme. Le parlement élu aura la responsabilité de désigner le gouvernement et de le contrôler. L’équilibre des pouvoirs à rechercher n’est pas entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement mais entre le pouvoir législatif, c’est-à-dire le Parlement, et le pouvoir exécutif, à savoir le gouvernement. Cet équilibre est de nature à empêcher le Parlement d’abuser de son pouvoir de contrôle du gouvernement et d’obliger ce dernier à agir avec l’accord du Parlement et sous son contrôle. Le Parlement doit contrôler le gouvernement sans le paralyser et le gouvernement doit respecter le rôle de l’Assemblée parlementaire sans devenir un simple appareil d’exécution de ses volontés. L’abus de pouvoir doit être évité des deux côtés.

Les deux protagonistes ont la possibilité de se défendre contre l’abus du partenaire. L’Assemblée peut renvoyer un gouvernement qui ne jouit plus de sa confiance après l’adoption d’une motion de censure. Le gouvernement et non le chef de l’Etat, comme je l’entends dire ici et là, ce qui n’a pas de sens, peut dissoudre l’Assemblée et faire ainsi appel au corps électoral pour trancher le différend au moyen de nouvelles élections législatives. L’équilibre entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif représenté par le gouvernement est de nature à discipliner les détenteurs de ces deux missions et d’éviter ainsi les abus et les dérives autoritaires ou anarchiques. C’est pour cette raison que le gouvernement et son chef doivent constituer un organe solidaire dont tous les membres participent à la responsabilité gouvernementale ayant en commun une politique affirmée et une orientation acceptée sans réserve alors que les membres du gouvernement d’un régime présidentiel sont de simples fonctionnaires du président chargés d’appliquer ses volontés.

Le souci des partisans du mixage entre le régime présidentiel et le régime parlementaire est d’avoir un chef du pouvoir exécutif émanant du suffrage universel comme le pouvoir législatif. Ce recours au suffrage universel pouvant conduire à l’abus du pouvoir et à la dictature d’un président élu au suffrage universel doté de pouvoirs exceptionnels, on a imaginé de réduire ce danger éventuel par le recours à l’essentiel du régime parlementaire qui réside dans la constitution d’un gouvernement désigné par le Parlement, responsable devant lui et pouvant exister réellement s’il bénéficie du droit de dissolution. Le président élu au suffrage universel, dans ce cas, va ressembler au chef de l’Etat d’un régime parlementaire tel qu’il a été décrit et qui n’a pas besoin d’être élu au suffrage universel.Il nous semble donc plus sage de ne pas chercher des combinaisons impossibles, de laisser le suffrage universel pour l’élection du Parlement et la charge de la gestion du pays à un gouvernement émanant de cette Assemblée et de confier au chef de l’Etat désigné par le même Parlement le soin de protéger le pays en veillant à l’application de la constitution et au respect de la loi et en étant l’arbitre et le recours, indépendant, non partisan et bénéficiant d’une large confiance de la population étant donné ses qualités morales et intellectuelles ainsi que les services rendus à la communauté nationale. Il est le représentant et le symbole du pays. C’est un «roi » républicain qui, comme tous les souverains des monarchies européennes parlementaires, n’a pas de pouvoirs de gestion et d’exécution mais a le pouvoir d’être admis par l’ensemble de la population, ce qui est au pouvoir exceptionnel et qui ne peut guère être détenu par un chef d’Etat exerçant des pouvoirs de gestion qui peuvent l’user et même le discréditer.

Il ne faut pas ruser avec la réalité. Le mixage apparaît comme un moyen pour revenir à un régime présidentiel qui n’ose pas dire son nom, un tel régime ayant acquis chez nous une solide mauvaise réputation. Il ne faut pas livrer le pays à des disputes incessantes du fait de ce mixage. Une constitution doit tenir compte de l’intérêt réel et permanent du pays.  Elle ne doit pas tenir compte uniquement de la conjoncture et de l’intérêt immédiat des partis politiques en compétition.

M.M.


 

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