News - 14.05.2013

La chute du Dinar: C'est grave, et ça ne fait que commencer

Le Dinar tunisien a connu depuis la révolution une chute quasi-continue de sa valeur. Cette chute est, à notre avis, restée contenue en regard des bouleversements qu’a connus le pays sur le plan politique et les mauvaises performances économiques en termes de croissance, d’inflation et des grands équilibres.

L’Euro, devise-phare pour l’économie tunisienne, est passé de 1,975 dinar en mai 2011 à 2,144 dinars au 9 mai 2013 soit une hausse de 9% en deux ans, en même temps le dollar des Etats Unis est passé de 1,377 dinars à 1,619 dinars soit une hausse de 18%. Cette chute s’est accélérée depuis le début d’avril 2013, puisque le dinar a perdu en cinq semaines 5% par rapport à l’Euro et 2% par rapport au dollar. Le tableau ci-dessous fournit ces informations et le graphique illustre l’évolution du dinar par rapport à l’euro durant les deux dernières années.

Cours des devises en dinars

Monnaie

Mai 2011

Mai 2012

Avril 2013

9 mai 2013

Variation entre Mai 2011 et Mai 2013

Variation entre début Avril et le 9 Mai 2013

USD/DT

1.377

1.577

1.589

1.619

18%

2%

DT/USD

0.726

0.634

0.629

0.618

-15%

-2%

EURO/DT

1.975

2.018

2.037

2.144

9%

5%

DT/EURO

0.506

0.495

0.491

0.466

-8%

-5%


 

Quelles peuvent être les conséquences de cette chute?

Pour commencer, cette chute rend plus chères nos importations avec des conséquences directes sur l’inflation. Plus des trois quarts de nos importations sont constitués de produits de consommation, de matières premières et de demi-produits dont la hausse des prix se répercutera directement et indirectement sur le prix payé par le consommateur ou devra pousser à engager plus de ressources pour la compensation de certains produits. Ceci tombe très mal à un moment où la lutte contre la hausse des prix est l’une des demandes urgentes des citoyens et l’une des préoccupations majeures des autorités. La baisse de la valeur du dinar se traduit directement par un appauvrissement de l’ensemble de la population et marque une accélération de la spirale inflationniste.
Cette baisse renchérit –en dinars- notre dette extérieure, et il va falloir trouver plus de dinars pour payer le principal et les intérêts de cette dette.

La baisse du dinar peut par ailleurs renforcer la fuite des capitaux. Ceux qui ont des capitaux, anticipant la continuation de cette baisse, peuvent être tentés de les convertir par des moyens illégaux en euros ou en dollars afin d’en préserver la valeur et réaliser des plus values  en revendant plus tard. D’autres chercheront à les placer dans des valeurs refuges comme l’investissement immobilier à titre spéculatif. La flambée, déjà observée depuis la révolution, du prix de l’immobilier n’en connaîtra qu’une plus grande extension au détriment des classes moyennes pour lesquelles l’acquisition d’un logement est devenue une chose de plus en plus inaccessible.

Mais la chute du dinar n’a pas que des effets négatifs. En principe, cette baisse de la valeur de notre monnaie rend nos produits et services moins chers pour les acquéreurs extérieurs. Elle devrait de ce fait booster nos exportations et donner un coup d’accélérateur au tourisme.

Malheureusement ceci reste, dans le contexte actuel, théorique

L’expansion des exportations est tributaire de la capacité des entreprises à répondre dans les délais et avec la qualité requise à une hausse éventuelle de la demande extérieure ce qui suppose que ces entreprises ont des capacités de production et des capacités managériales suffisantes pour répondre à la demande, ce qui est loin d’être le cas dans un contexte où l’appareil productif est souvent paralysé par les tensions sociales persistantes, abstraction faite de leur légitimité.

L’impact sur le tourisme sera probablement dérisoire. Chacun sait que la crise actuelle du secteur touristique est la conséquence du climat d’insécurité et d’incertitude politique que connait le pays depuis la révolution et que les derniers évènements n’ont fait qu’aggraver. La baisse de quelques pourcents du prix, qui en d’autres temps aurait fait de l’effet, risque de n’avoir aucune conséquence sur l’afflux des touristes.

La chute du dinar peut aussi théoriquement avoir un impact positif sur les transferts d’argent des tunisiens à l’étranger. Ces derniers, profitant du taux bas du dinar, peuvent être encouragés à effectuer des transferts d’argent vers leur pays. Mais ceci ne se fait en général que quand les perspectives économiques et politiques sont positives. Si nos concitoyens à l’étranger anticipent une continuation de la baisse du dinar, l’effet sera contraire car ils seront tentés de retarder le transfert d’argent en attendant des baisses encore plus importantes.

Tout porte à croire que nous n’aurons que les effets négatifs de la dévaluation (le terme est inapproprié car il s’agit moins d’un choix des autorités que d’une évolution rendue inéluctable par la situation du pays) sans en recueillir les effets positifs théoriques. On risque alors d’amplifier la spirale de l’inflation et des revendications sociales conséquentes et d’une aggravation de l’endettement du pays. Ces conséquences toucheront toute la population mais plus particulièrement – vue la structure de sa consommation- la classe moyenne déjà largement laminée par l’inflation.

Cette tendance est appelée à se poursuivre. Le tableau ci-dessous donne le cours moyen à terme du dinar, il montre que les agents anticipent une continuation de cette chute, le cours de l’euro serait de 2.189 dans trois mois et de 2.215 DT dans six mois.

Cours Moyens à terme de l’euro et du dollar (au 9/5/2013)

Période

A 3 mois

A 6 mois

US$

1.666

1.684

EURO

2.189

2.215

Mais ces anticipations nous paraissent très en deçà de ce que pourrait être la réalité, et il ya à craindre, et nous le pensons sérieusement,  que l’ampleur de la chute ne soit beaucoup plus grande.

La dévaluation est la sanction d’une situation économique en détresse. Il n’y a pas de solution facile à cette situation et aucun instrument de politique économique –même s’il peut avoir quelques effets à court terme- ne s’avèrera efficace pour enrayer ce que certains qualifient déjà de « descente aux enfers ». Aucun gouvernement –quelle que soit sa légitimité- ne sera capable d’affronter les conséquences attendues de cette chute s’il n’est capable de s’assurer un large consensus des forces sociales et politiques importantes du pays, car il va falloir reconstruire la confiance des acteurs économiques et sociaux internes, des partenaires extérieurs et des bailleurs de fonds ; et –last but not least- faire accepter les sacrifices inéluctables. Jamais, pour ce pays, la question économique n’a été aussi politique.

Mohamed Hedi Zaiem
Professeur à l’Université de Carthage

 

 

 


 

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