Opinions - 26.04.2013

A-t-on besoin de Professeurs Emérites?

Plus d’une fois on me demande ce qu’est un Professeur Emérite qui a pour équivalent, chez nous en arabe : OSTETH MOTAMAYIZ littéralement, excellent professeur. Cela est compréhensible puisque l’appellation est nouvelle et n’a pas été utilisée auparavant. C’est le décret numéro 93-1825 du 6 septembre 1993 fixant le statut particulier des enseignants chercheurs des universités, qui a créé pour la première fois ce titre avec cette appellation.

Ce titre est accordé par le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique aux professeurs de l’enseignement supérieur qui arrivent à l’âge de la retraite et qui demandent à continuer à diriger les travaux des chercheurs au master et au doctorat et à participer à des jurys d’évaluation ou animer des séminaires.
En tant que retraité il perçoit comme tout le monde sa pension de retraite. S’il prend la charge d’enseignement de quelques heures, il sera payé en tant que vacataire. La participation à des jurys de master, de  thèse ou d’habilitation est une activité assurée bénévolement, il en est de même de l’encadrement des chercheurs.
Le titre étant, alléchant et permettant de garder contact avec l’institution d’origine, il a été demandé par la plupart des collègues arrivés à l’âge de la retraite et, il a été largement accordé à tout le monde sauf rares exceptions souvent non justifiées.

 Certains parmi cette pléiade ont continué à travailler sérieusement, c'est-à-dire : encadrer des thèses et des mémoires, rédiger des articles et présenter des communications et parfois même prendre des charges d’enseignement surtout que le ministère a créé un cadre juridique permettant aux P. E. de conclure un contrat expert avec le ministère : enseigner 24 heures par mois moyennant une rémunération pendant dix mois par an, en tant que complément de pension. D’autres Professeurs Emérites se sont contentés de bénéficier   de l’aspect honorifique du titre sans aucune valeur ajoutée pour l’université ou pour les étudiants.

Après la révolution, le ministère et les universités ont cherché à codifier la nomination des P. E. en instituant des critères précis afin de rendre le titre octroyé vraiment bien mérité et servant des objectifs bien déterminés. A ce niveau il y a lieu de faire deux remarques, d’abord il ne faut pas multiplier les critères et rendre la nomination presque impossible ou en dehors de la portée de tous. A mon avis, le meilleur critère étant l’engagement du P. E. à travailler c'est-à-dire encadrer les chercheurs et poursuivre la production scientifique (communications et publications scientifiques). Après tout, on a toujours besoin de professeurs directeurs de recherche surtout lorsqu’il s’agit d’enseignants chercheurs ayant une longue expérience. Tant qu’il y a de la valeur ajoutée espérée, on ne doit pas refuser le titre à quiconque - à moins qu’il y ait des raisons valables – puisque l’encadrement ne coute rien à l’Etat. De même l’âge de la retraite, qui est passé de 60 à 65 ans, reste en deçà de l’âge de l’incompétence. Aujourd’hui une personne de 80 ans et même plus, peut être en bonne santé et peut assurer convenablement des cours, séminaires et diriger des travaux de recherche de qualité.

Ceci étant, on peut se demander quels sont les avantages que peut recevoir ce Professeur Emérite. Il est évident – nous l’avons dit auparavant – que son activité est non rémunérée sauf s’il enseigne et dirige des séminaires. Simplement, il lui est demandé d’être actif sur le plan scientifique. Cependant, son activité scientifique  peut lui occasionner des charges financières importantes  que l’administration refuse – jusqu’à présent- de lui couvrir et c’est là le point crucial à traiter. Faut-il commencer par préciser que l’activité de recherche et d’encadrement suppose nécessairement des frais : une communication acceptée par un séminaire organisé par une université étrangère ou une association scientifique exige financement.

De même, la participation à un jury de thèse préparée dans le cadre d’une convention de cotutelle et devant être soutenue en France ou ailleurs, nécessite aussi financement.  D’ailleurs, d’après le règlement universitaire, la soutenance ne peut se faire sans la présence du directeur ou des co-directeurs de recherche. Or d’après la réglementation de la Fonction Publique Tunisienne, un Professeur Emérite est tout simplement un retraité, donc non éligible à des missions officielles ou à un financement quelconque sous prétexte que le lien avec l’administration a été rompu par l’arrivée de la retraite oubliant que le titre de P. E.  a rétabli ce lien. Même quand le P. E. bénéficie d’un contrat-expert lui permettant d’enseigner moyennant rémunération, l’Administration du Ministère et celle de l’Université répondent qu’il est considéré avant tout comme retraité sans regarder ni le titre P. E. ni le contrat- expert.

Devant cette interprétation restrictive de la réglementation, le P. E. se trouve contraint de débourser de sa poche tous les frais de missions (voyages et séjours). Il préfère sacrifier l’argent que sacrifier le doctorant. De même, il préfère  honorer les engagements pris par nos institutions universitaires sous peine de les discréditer par manquement aux obligations.

Comme tout enseignant chercheur, le P. E. a besoin de participer aux colloques internationaux pour suivre l’évolution de la pensée, des méthodes et des théories dans sa discipline, sinon il sera dépassé et ne pourra plus suivre le mouvement de la science.

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une faille quelque part. On ne peut pas, d’un côté,  prétendre encourager la recherche, aider les doctorants à terminer leurs études doctorales dans les délais et promouvoir les thèses en cotutelles et, de l’autre coté, priver les P. E. de toute aide financière pour des missions à l’étranger. Assurément cette situation est vraiment aberrante. Le P. E. peut supporter la charge une fois, deux fois, trois fois peut être… mais pas toutes les fois. Il finira par se lasser, il finira par abandonner.

A plusieurs reprises, l’attention de l’administration a été attirée sur cette contradiction, mais la réponse a été toujours invariablement la suivante : « comme Dieu, l’Administration a toujours le dernier mot, la loi c’est la loi et on ne peut pas transgresser la loi ».

En France, la situation est complètement différente. Un P. E. a les mêmes droits qu’un professeur en exercice. Il est financé quand il se déplace pour un séminaire et il est pris en charge sous forme de mission officielle quand il doit assister à une soutenance de thèse.

Est ce qu’on va suivre enfin l’exemple de nos collègues français?  Il semble que oui.
En effet, je viens d’apprendre dernièrement que nos responsables post- révolution et à leur tête Monsieur le Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique se penchent actuellement sur la question et probablement qu’un nouveau texte est entrain d’être discuté pour permettre ce qui a été refusé pendant  longtemps. Notons enfin, qu’une Association des P. E. dans les Universités Tunisiennes,vient de voir le jour. (JORT numéro 44 du 11 avril 2013 page 2205) avec à sa tête le Professeur Emérite Chadli Ayari.

Elle a pour objectif, à travers des études et des débats, d’élever le niveau de nos diplômes universitaires, de contribuer à la réforme globale de l’université, à mettre en avant le partenariat magrébin de la recherche scientifique et de servir en tant qu’instance de conseil pour les décideurs politiques. Le siège social provisoire de cette nouvelle Association se trouve à la fondation Temimi pour la Recherche Scientifique et l’Information (Centre Urbain Nord. Immeuble de l’excellence 1003 Tunis).

 Souhaitons que cette Association fasse en sorte que ces P. E. trouvent les moyens nécessaires et les conditions favorables pour mener à bien leur noble mission d’encadrement et de promotion de la recherche et qu’à tous les niveaux on reconnaisse leur utilité.

Un Professeur Emérite mérite bien toute considération. Il ne doit pas être considéré comme simple retraité avec un titre honorifique mais comme un professeur de haut rang avec une mission à accomplir.

Mustapha Zghal
Docteur en économie et gestion
Professeur Emérite à  la FSEGT
Université de Tunis El Manar