News - 30.12.2012

Loi sur l'exclusion : la transition entre Robespierre et Mandela

Rarement un projet de loi soumis à l’Assemblée nationale constituante aura été aussi décortiqué que celui de l’exclusion de l’ancien personnel politique sous Ben Ali, initié par Ennhadha et ses partenaires. Cette exclusion de toute candidature à des élections ou nomination à des postes et prise de responsabilité au sein d’un parti pour une durée de 10 ans, vise à la fois ceux qui avait assumé de hautes fonctions officielles (premier-ministres, ministres, ambassadeurs, gouverneur, etc.) et des mandats électifs ou même administratifs au sein de l’ex-RCD, sans distinction, à titre collectif, sans graduation de la peine et sans jugement.

Conclusion des spécialistes : inacceptable dans sa forme et son contenu tels que formulés, donc anticonstitutionnel selon l’avant-projet de la constitution, donc  et non con-conforme à des pactes ratifiés ce qui ouvre la voie à des recours devant les instances internationales. Bref à revoir complètement, mieux, y renoncer. 

A l’initiative de l’Association de recherches en transition démocratique (ARTD) que préside Yadh Ben Achour, juristes, dirigeants de partis et représentants de la société civile ont décortiqué ensemble ce projet de loi, après avoir écouté l’exposé des motifs présenté par le chef du groupe parlementaire d’Ennahda, Sahbi Attig et la remise en cause par le représentant de Nida Tounes, Ridha Belhaj. Attig s’est employé à relativiser la portée de ce texte qui « ne vise personne de particulier ou un parti précis », mais s’inscrit selon lui dans une « indispensable protection de la révolution ». Il ne pouvait  mieux lancer le débat.
 
D’abord, Belhaj estime que son parti, Nida Tounes et son leader, Béji Caïd Essebsi en sont les plus visés. Il rappelle, soutenu en cela par Ghazi Gherairi qu’il avait bien été convenu, au sein de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, d’activer pour une seule fois et uniquement lors des élections de l’ANC, à travers l’Article 15 du décret-loi y afférent, une interdiction de candidature de certaines catégories. Gherairi précisera qu’au cours d’une même année, la classe politique revient sur deux de ses engagements majeurs : la limitation de la durée du mandat de l’ANC et la non-exclusion à l’avenir.
 
Avec beaucoup de patience, mais en procédant à une analyse profonde des  différentes dispositions projetées. Ridha Jenayah explique que l’exclusion, fondée sur une logique de vainqueur, ferme la voie au dialogue et constituera une menace pour la stabilité politique, économique et sociale du pays. Zied Krichen souligne que la perversité de cette loi, c’est que si on s’y oppose, on risque d’être perçu comme des défenseurs de l’ancien régime. Walid Bel Hadj Amor, lui-même fils d’un exclu pendant 34 ans, met en garde contre tout amalgame entre le crime et l’erreur.
 
« Nous devons choisir en Robespierre et Mandela »
 
Hatem Mrad choisit, en soutien des arguments développés, un autre angle d’attaque : définir la contre-révolution pour s’en prémunir. Il retient celle qui porte sur « toutes les attitudes qui tirent vers le passé », les plus dangereuses et les plus immédiates consistant à produire une contre-révolution. Pour lui, l’ex-RCD, dissous, rejeté par les Tunisiens, est fini. Par contre, ce qui est aujourd’hui le plus menaçant, c’est la violence, notamment celle des salafistes et djihadistes, les factions qui s’autoproclament défenseurs de la révolution et demeurent dans l’impunité, le détournement des mosquées à des fins idéologique.  Se référant à la terreur sous la révolution française et à l’esprit de réconciliation en Afrique du Sud, il dira : « nous devons choisir en Robespierre et Mandela ».
 
Amine Mahfoudh relève le caractère opportuniste des auteurs du projet de loi qui entendent profiter de la non promulgation de la constitution et de l’absence d’une cour constitutionnelle pour faire passer leur texte. Il pointera particulièrement dans le texte proposé, la disposition qui permet au premier venu de dénoncer une personne en la désignant parmi les concernés par l’exclusion. « Cette délation sera source de fitna dans le pays ». Sa conclusion est nette: « ce n’est pas la révolution qui doit être protégée, affirme-t-il, mais la sécurité, la stabilité, la démocratie, la modernité ».
 
Selma Messiri, ayant travaillé sur le texte avec Slim Loghmani, soulignera d’abord les recommandations du Comité de Venise qui ne tolèrent aucune exclusion à la légère et rappellera les dispositions du pacte international des droits civils et politiques, ratifié par la Tunisie. Ce pacte n’aliène en rien les droits de candidature, d’un côté, et du libre choix des électeurs, ce qui ferme la voie à toute exclusion.
 
Un débat juridique et politique fécond qui doit interpeller ceux qui entendent imposer cette exclusion, démonte un à un tous leurs arguments et les met en garde contre une levée de boucliers générale. Ennahdha et ses partenaires doivent bien y réfléchir.