Opinions - 26.04.2009

Le temps des crises

Mourad DaoudBlog ou Opinion? Ce merveilleux texte de Mourad Daoud, trader tunisien à Londres (Institut d'Informatique d'Entreprises, HEC Paris), confié à Leaders se lit savoureusemet.

Encore une journée où l’on doit bien se couvrir. Ce printemps annoncé depuis des semaines est un leurre. Même le primeur en est resté aux fruits de l’hiver. A croire que le temps qu’il fait, suit les temps qui courent. L’automne a vu les banques tomber comme des feuilles, l’hiver a été rude pour l’Economie et le printemps fécond en crises sociales.

On  ne compte plus le nombre de licenciés aux quatre coins du monde. L’hémorragie qui avait commencé il y a déjà quelque temps, continue de plus belle. 663 000 emplois détruits aux États-Unis en mars, 80 000 en France et 123 000 en Espagne en Février. Le Bureau International du Travail estime que «  le nombre de chômeurs (dans le monde, ndlr) pourrait passer de 190 millions en 2007 à 210 millions fin 2009». Ce ne sont pas les chiffres qui manquent. Leur liste s’allonge et plonge les économistes dans des gymnastiques prévisionnelles qui diffèrent avec chaque diseur de bonne aventure. La situation va mal, il ne faut être devin pour le voir.

Mais « il semble que les sacrifices humains soient inévitables en temps de crise pour apaiser les Dieux » c’est ce que vous pouviez entendre, la semaine dernière, dans une émission sur une Chaine d’Histoire et Découverte ; parlant d’une certaine civilisation de la Préhistoire. Il paraitrait que la nature humaine n’a pas tellement évolué depuis.

Ce que nous avons aujourd’hui, au delà de la dimension économique évidente, c’est une expérience anthropologique intéressante. Que d’êtres humains sacrifiés sur l’autel des Marchés financiers. Ces Marchés, notez bien la majuscule, imaginés par l’Homme mais dont l’Homme n’est plus maître, bien l’inverse. Certaines entreprises n’ont d’autres choix que de mettre la clé sous la porte et remercier leurs employés. Rien de malsain en cela, les entités naissent et meurent, et ce sont là des morts naturelles. L’offrande aux Marchés réside ailleurs. Licenciements préventifs, délocalisations, marges bénéficiaires en deçà des attentes,… Tant de raisons qui peuvent provoquer la fureur des Marchés. Alors, on les contente et on sacrifie. Plus on croit en ces Marchés plus leur pouvoirs se renforcent et on se trouve obligé d’obéir à leurs lois.

Observez ce que c’est passé ces dernières années. Euphorie sans égale de l’économie. Tout le monde a du cash, du petit pêcheur norvégien à l’Emir du Golf en passant par les nouveaux Barons russes.

Tous, veulent investir. Intermédiaires ou pas, leur argent finit par atterrir à NYC, Londres ou n’importe quelle autre place où pullulent les temples et gourous de la Finance. Prêté à tout va à qui va. N’importe quel américain pouvait avoir un crédit pour acheter une maison. Normal, l’immobilier flambe, on donne parfois même plus d’argent que la valeur du logement acheté car on croit dur à la croissance. On met la camelote des crédits  avec les crédits de bonne qualité dans un même panier. On les touche d’un fabuleux coup de baguette magique des titrisations, puis on leur donne des noms qui impressionnent comme Collaterised Debt Obligation (CDO) ou Credit Linked Notes (CLN). Miracle des Marchés, tout se revend à qui en veut … ou pas forcément. On prend des risques puisque ça paye. Et plus on en prend, meilleur est le bonus de fin d’année. On gagne plus alors on consomme plus et l’économie réelle s’y croit. Les entrepreneurs petits et grands s’endettent. Pas dangereux puisque le business suit.

Un jour le Marché s’énerve. Trop de risque engagé, les taux explosent et les Marchés prennent la main sur l’Homme. On manque de la Fraiche alors on vend. Les Marchés n’apprécient pas et dépriment, du coup on vend plus, Never catch a falling knife. On vend à tour de bras; jusqu’à parfois passer en dessous de la valeur des actifs réels d’une compagnie. Des opportunités d’arbitrage s’offrent aux rares qui ont du cash. Et comme en tant de guerre, les riches peuvent devenir plus riches. « Vendez au son des violons, achetez au son des canons ». Quand les temps de crise auront passé, ils feront leur bilan.

Mais pire que ces décisions prises de sang froid, celles provoquées par la peur et la panique. Quand les opérateurs sont pris de panique et qu’ils ne comprennent plus les Marchés, ils perdent la maitrise de leurs sens logiques. Il y en a qui se font du mal à eux-mêmes en sombrant dans les abimes de tel ou tel fléau, ou en perdant tout attache à la vie et la quittant. Pis, ceux qui essayent de la sauver par tout moyen. Ils sacrifient tout : la batterie de valeurs morales dont se prévalent certaines compagnies en temps de paix, l’intérêt de la Nation (mais que veut dire Nation, puisqu’on parle de multinationales), le respect de l’Homme,…

Regardez Un fauteuil pour deux (Trading Places) avec Tim Robbins et Eddy Murphy. Une expérience qui montre que l’Homme est ce qu’il a. Quand ses conditions changent, son comportement mute. C’est une généralité, bien sûr. Il ya autant de types de réactions que de Types. Mais la majorité des humains est consternante par sa capacité à muer en temps de crise. Une sorte de comportement animal surprenant pour un être doté d’une conscience. Alarmant ! Car le résultat d’une expérience en laboratoires sur une population de rats à qui on a continué à donner la même quantité de nourriture à fur et mesure que le nombre d’individus croissait, était moche à voir à la fin. Nous ne sommes pas des rats, mais on croit… et nos richesses diminuent.

Un ancien trader a comparé notre situation au Titanic. Ceux qui l’avaient conçu tout comme ceux qui l’avaient emprunté, en avaient une confiance arrogante. C’était l’insubmersible, le plus solide, le plus grand, le … mettez vos superlatifs. Occultant la partie émergée d’un immense iceberg, il a coulé en quelques minutes. Pourquoi ce ton pessimiste ? Tant de prédicateurs ont, des siècles durant, averti les populations du Pire et des temps qui ne sont plus ce qu’ils étaient. Et pourtant le monde tourne encore. Mais les maux y étaient locaux et la Peste Noire (la plus sombre des drames humains) ne dépassait guère un continent. De nos jours, tout se propage facilement et la mondialisation, en connectant les peuples, a lié leurs sorts. La Chine est aujourd’hui le plus grand créditeur des Etats-Unis. La faillite de l’un entrainera le péril de l’autre. Qui l’eut cru il y a une décennie ?

Ce n’est pas là une énième tribune médisant le capitalise et vantant quelque autre idéologie que ce soit… ça se saurait. Le but est de prendre conscience de ces nouveaux Dieux qui tiennent l’Humanité de notre époque. Personne ne sait ce qui se passera et il n’est pas non plus question ici de renforcer le rang de ces « experts » de l’économie qui, croyez le, n’en savent rien. « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien». Voilà des millénaires que Socrate le leur avait humblement dit. Et un peu plus récemment, Nassim Taleb, le plus célèbre des Traders, avait consacré son fameux Back Swan à ce sujet : « On ne peut pas prévoir ». Ceci dit « gouverner c’est (essayer de) prévoir », le réveil éthique des G7, 8 ou 20 ne s’est fait qu’au bruit de l’éclatement de la bulle. Alors, pendant qu’ils sont encore réveillés, il serait judicieux que les grands de ce monde prennent en main le Social avant explosion. Soyons pessimistes par l’intelligence, soyons optimistes par la volonté.

Les Marchés reprennent du Vert ces dernières séances. Et au moment où se terminent ces lignes, un soleil est déjà réapparu. On peut même observer, comme par miracle, les premières cerises sur les étalages. Ici, dans le pays, on les appelle les « graines des rois ». Puissent-elles être celles des Dieux, et présager l’avènement du printemps.